La Villa mise en vente Léon-Louis Buron (1810 - 1895)

Par-delà l’Océan, naguère, en Amérique,
Dont le peuple, on le sait, est d’humeur excentrique,
Un citoyen changeant, voulant ceci, cela,
Décida, sans raison, de vendre sa villa.
La chose résolue, il va chez son notaire :
— Vous savez, ma villa ? Je voudrais m’en défaire.
— Vraiment ? Vous m’étonnez… la raison, s’il vous plaît ?
— La raison ? Eh parbleu ! c’est qu’elle me déplaît.
— De celte raison-là, monsieur, je me contente,
Et sous peu vous verrez la villa mise en vente,
Puisque vous le voulez ; mais, pour ne point mentir,
Je crains que vous n’ayez lieu de vous repentir.
— Cher monsieur, trouvez-m’en une autre plus jolie
Qui rivalise avec lis bosquets d’Idalie,
Et je l’achèterai ; sur un seul mot de vous,
On peut compter sur moi : j’accours au rendez-vous. —
Quinze ou vingt jours après, afin de se distraire,
Dans un café, notre homme, en buvant de la bière,
Fumait un bon cigare et lisait les journaux,
Les crimes et délits soumis aux tribunaux,
Du journaliste enfin l’ennuyeux bavardage,
Les annonces aussi de la dernière page.
Tout à coup il s’écrie : « Ah ! que c’est bien, cela !
Voilà ce que j’appelle une belle villa.
Relisons donc un peu : Maison bien située,
Spacieuse, élégante et bien distribuée ;
Une grille devant, un verdoyant gazon,
Et vieux tilleuls donnant de l’ombre en la saison ;
Des orangers derrière, et puis un beau parterre…—
Il ne m’en disait rien, mon nigaud de notaire,
Et c’est lui qui la vend !… — Grand parc délicieux
Et limpide rivière au cours capricieux ;
Beau verger, plus un lac où le poisson abonde,
Une nacelle enfin dont la rame fend l’onde… —
Partons sans plus tarder ; voilà ce qu’il me faut.
— Mon cher notaire, ah ! ah ! je vous prends en défaut.
— Expliquez-vous, monsieur, car je ne puis comprendre.
— Comment ! celte villa… n’est-elle pas à vendre ?
En êtes-vous chargé ? N’est-ce pas, en effet,
Par vos soins, répondez, que la vente se fait ?
Me trompé-je, voyons, et ne sais-je plus lire ? »
Le notaire soudain part d’un éclat de rire :
— Pardonnez-moi, monsieur, oui, vous lisez fort bien,
Mais… —Quoi ? — Cette villa… c’est votre propre bien.
— Comment ! cette villa… certes, cela m’étonne ;
Je n’y voyais donc pas ? Ma foi, la farce est bonne.
Quelle faute, un peu plus, j’allais faire, grands dieux !
Oh ! charmante villa ! je ne puis trouver mieux.
Eh bien ! virons de bord, car ce serait folie
De vendre, j’en conviens, campagne aussi jolie.

Ce que nous possédons, souvent à nos mépris ;
Quelqu’un l’admire-t-il, nous en sentons le prix.





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