Le Villageois et la Brebis Ivan Krylov (1768 - 1844)

Accusée, un beau jour, d'un crime capital,
Une brebis encor novice,
Par certain villageois fut traînée en justice,
.Maître renard alors siégeant au tribunal.
La chose est prise au vif ; chaque preuve est pesée,
Tant notre juge y met d'ardeur:
Enquête au nom du demandeur.
Enquête au nom de l'accusée,
Rien n'y manque, et chacun devra, sans clabauder,
Devant juge et témoins s'expliquer et plaider.
Le plaignant dit : « A telle date,
Je vis qu'il me manquait deux poulets le matin.
Du massacre il restait comme indice certain
Quelques plumes, des os et le bout d'une patte.
La brebis seule était avec eux dans la cour,
— Moi , dit la brebis h son tour.
Pendant toute la nuit du crime,
.l'ai dormi. Les voisins d'ailleurs
Sur moi vous feront tous les rapports les meilleurs.
De ma rapacité qui fut jamais victime ?
L'honneur m'a toujours été cher,
Et, de plus, on sait que la chair
N'entre pour rien dans mon régime. »
Le renard lut l'arrêt qu'ici nous traduisons :
« Vu que toute brebis , dans la race animale,
Pour tromper et mentir n'eut jamais son égale,
A ces causes, nous refusons
De croire la brebis alléguant ses raisons.
Vu que , pendant la nuit aux poulets si fatale,
Ainsi qu'il est prouvé par des témoins nombreux,
Sur le lieu du massacre elle a couché près d'eux ;
Vu que chair de poulet est délicate et tendre,
Que la chance était belle à vouloir en goûter.
Et que dame brebis , qui prétend s'en défendre,
A telle occasion n'a pas dû résister;
\ous renard, déclarant la cause bien jugée,
La condainnons à mort, pour purger le troupeau.
Sa chair au tribunal est, de droit, adjugée,
Kl le plaignant aura lu peau. »

Livre VIII, fable 4




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