Les Rossignols en cage Ivan Krylov (1768 - 1844)

Ln habile oiseleur, au printemps, avait pris
Des rossignols dans un bocage.
Nos virtuoses , mis en cage,
Au lieu de sons joyeux, poussaient de tristes cris,
Captifs, ne pouvant plus aller, à l'étourdie.
Folâtrer à l'ombre des bois,
Ils n'avaient plus dès lors goût à la mélodie;
Ils voulaient chanter, mais leur voix
Sous le poids du chagrin paraissait engourdie.
Un d'entre eux, pauvre cœur blessé.
Des plus cuisants soucis paraissait oppressé :
Loin de lui, sa compagne aux bois était restée;
Il avait donc double raison
Pour sentir son âme attristée
Par les barreaux de sa prison.
D'un œil humide et triste il contemple la plaine :
Jour et nuit, sans tarir ses pleurs,
Il gémit, il soupire, il dort et mange à peine.

u Bien fou qui perd son temps à pleurer ses malheurs !
Se dit-il , un beau jour ; à tout il est remède ;
Toujours gémir n'avance à rien ;
Le sage doit trouver moyen
De guérir ses chagrins, lorsqu'il se vient en aide.
Pour vivre plus heureux je saurai m'arranger ;
On ne m'a pas pris, je suppose.
Que pour me voir boire et manger.
Et mon maître de moi veut sans doute autre chose.
Si je puis par mes chants exciter sa gaieté,
Un beau jour, il devra, je pense,
Pour me payer ma récompense,
Me mettre enfin en liberté ! »

Du troubadour ailé la voix pure et sonore
Se met à chanter le réveil
De la nature et de l'aurore,
Et l'éclat renaissant des rayons du soleil.
Qu'arriva-t-il ? Il fut plus malheureux encore!
Son talent lui devint fatal.
Un beau matin, la main du maître,
Aux rossignols qui chantaient mal,
Ouvre la cage et la fenêtre.
Mais au divin chanteur nul soin ne réussit :
11 chante, il chante encore... hélas! Peine perdue ;
Plus sa voix prend d'ampleur, de charme et d'étendue,
Plus sa prison se rétrécit.

Livre VIII, fable 3




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