Le Potier et le Villageois Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Un manant du pays de Caux
Possédait, pour tout bien, quelques perches de terre :
Quelques perches ! ce n'était guère,
Cependant, grâce à ses travaux,
Il vivait encor fort à l'aise.
Or, à son champ touchait un fonds de terre glaise,
Et le voisin de notre villageois
Étant potier des plus habiles,
Cette matière, sous ses doigts,
S'arrondissait en cent vases utiles.
Il en faisait des pots de diverse façon ;
Des cruches, des plats, des assiettes,
Des aiguières et des cuvettes ;
Et, comme il avait le renom,
Il amassa force pécune ;
Bref, il fit bientôt sa fortune.
Le rustre ne vit pas prospérer son voisin,
Sans en être jaloux, car, quoique l'on en die,
Nous sommes tous sujets à cette maladie ;
Le bien d'autrui toujours nous cause du chagrin.
« Oh ! oh ! dit à part le rustique,
Si l'on s'enrichit tant à façonner des pots,
Il faut aussi que j'en fabrique.
J'étais un homme des plus sots,
De suer une année entière,
Pour cultiver un coin de terre,
Dont les fruits suffisaient à peine à l'entretien ;
Mais, en revanche aussi, j'espère bien
Être cité dans peu pour la richesse.
Je sais, pour un potier, tout ce qu'il faut savoir ;
Je n'ai jamais manqué ni de goût, ni d'adresse . »
Il dit, et le voilà qui se met en devoir
De travailler à sa fortune.
L'argile à tous était commune,
Et, comme un autre, il pouvait en user.
Mais son espoir fut loin de se réaliser ;
Car au lieu de saisir la forme
D'une tasse ou d'un pot-au-lait,
Il ne mettait au jour qu'un avorton difforme.
Pourtant le bonhomme espérait
Que, plus exercé par l'usage,
Il pourrait travailler avec plus d'avantage.
Quoi qu'il en soit, notre potier
Mit encore un an tout entier,
Pour attraper à peu près la figure
Du vase le plus commun ;
Mais quand à ceux d'élégante structure,
Il n'en put façonner aucun.
Aussi la pauvre fabrique
Alla bientôt au plus mal.
Le voisin seul eut toute la pratique ;
Son émule s'en fut mourir à l'hôpital.

Jeunes gens qui, brûlant d'une ardeur téméraire,
Osez prendre en vos mains la lyre d'Apollon,
Et qui, dans l'espoir d'un vain nom,
Négligez un état beaucoup plus nécessaire ;
Croyez-moi, réprimez un dangereux essor,
Ou, de notre ouvrier, craignez le triste sort.

Fable 2




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