Le Potier et le Maître d'École Pierre Didot (1761 - 1853)

Quand mon inimitable guide,
Quand La Fontaine en ses écrits charmants
A censuré magisters et pédants,
Bref, tous ces gens
Au front sévère, au ton rigide,
Et sur tous indifféremment
A décoché si plaisamment
Les traits piquants du ridicule,
Il l'a pu faire sans scrupule.
Et pour un seul qui par sa rareté
Mériterait peut-être
D'être excepté
Je n'irai pas contredire mon maître.
Encore ce phénix offre-t-il quelques traits
De pédantisme : à cela près
Il pourrait être supportable ;
On le verra par cette fable.

Je ne sais plus dans quel endroit
Le magister d'un gros village
Donnait des leçons au jeune âge,
Enseignait le latin : il avait fait son droit ,
Et remplissait fort bien son ministère.
De tous ses écoliers il paraissait le père,
Étudiait leur caractère,
Et les conduisait par l'honneur,
L'émulation , la douceur.
Tout près dans le voisinage
Était un maître potier
Fort habile en son métier,
Mais peu constant à l'ouvrage,
Aimant à se divertir,
Et donnant chaque semaine
Trois jours au plus à la peine,
Trois jours pleins à son plaisir.
Une certaine journée
Qu'il était en belle humeur,
Tout en faisant sa tournée,
Chez son voisin le docteur
Il entre en cérémonie,
Et l'air joyeux il le prie
D'un bal et d'un grand repas,
Que l'autre n'accepta pas.
Sa raison parut étrange ;
L'artisan s'en étonna:
Mais elle est à la louange
De celui qui la donna.
Le nocher, lui dit-il , qui sur une eau tranquille
Dirige sans effort une barque docile ,
Peut à son gré , séduit par leurs vives couleurs,
Sur des bords émaillés aller cueillir des fleurs.
Il descend; et sa barque en cette onde dormante,
Immobile , l'attend au lieu de sa descente.
Mais celui qui, voguant sur des flots furieux,
Lutte contre un courant rapide, impétueux,
S'il voulait un instant s'élancer sur la rive,
Ne retrouverait plus sa barque fugitive.
Mon cher docteur, à quoi bon ce propos?
Qu'est-il ici besoin et de barque et de flots ?
Vous n'entendez pas ? je m'explique,
Répond le magister : cet exemple s'applique
A vous ainsi qu'à moi. Quand pour votre plaisir
Vous avez quitté votre ouvrage,
Et qu'ensuite, ennuyé d'un pénible loisir,
Vous courez le reprendre avec plus de courage,
Si pendant votre absence il n'a pas avancé,
Il est du moins au point où vous l'avez laissé.
Il n'en est pas ainsi de l'art que je professe ;
Et de l'instruction comme de la sagesse
Tout le fruit est bientôt perdu,
Si par un travail assidu
On ne les cultive sans cesse.

Fable 2




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