Le Chantre de cathédrale au village Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Maître chantre à la cathédrale
De la cité gauloise où l'on sacrait nos rois,
Portai, ayant en poche un congé de deux mois,
Gagnait gaîment à pied sa bourgade natale.
Dans un pauvre village en passant vers le soir,
Il entendit chanter les vêpres à l'église.
«De mon ténor, dit-il, essayons le pouvoir
Sur ces grossiers manants : je jouirai de voir
Les doux transports de leur surprise ;
Et chantres et bedeaux bientôt, j'en ai l'espoir,
Fiers qu'avec eux je fraternise,
Le verre en main, rendront hommage à ma maîtrise. »
Disant ces mois il entré, et, sûr d'être vainqueur,
Pour mieux goûter sa gloire il se tient loin du chœur.

Il commence d'abord d'une voix presque éteinte,
Puis, par degrés la renforçant,
Il déploie à la fin, dans cette étroite enceinte,
Les immenses ressorts de l'organe puissant,
Tant admiré par les fidèles,
Quand dans la métropole, aux fêtes solennelles,
Il domine tous ses rivaux
Et du temple gothique ébranle les vitraux.
Aux accents inconnus de la voix formidable,
Le rustique auditoire est frappé de stupeur;
Les clercs du lutrin, qu'elle accable,
Restent la bouche ouverte el tremblent de fureur.
A sa fougue Portai cependant s'abandonne :
Tantôt, rival de l'orgue, il mugit sourdement,
Tantôt, comme l'orage, il gronde, éclate, tonne}
On croit ouïr l'ange qui sonne
La trompette du jugement.
Mais le lutrin, remis de son étonnement,
Retrouve tout à coup la voix et le courage,
Et contre l'ennemi pousse un long cri de rage ;
Tous les bons paroissiens, hommes, femmes, vieillards,
Se lèvent en tumulte et cherchent des regards
Quel peut être le téméraire
Qui vient du Dieu de paix troubler le sanctuaire;
De son extase ainsi tiré,
Portal, tout étourdi, tombe du ciel en terre:
Il voit le mouvement de ce peuple effaré,
L'office est suspendu, le lutrin vocifère,
Déjà pour le saisir s'avancent lès bedeaux ;
Il gagne alors la porte et sort d'un pas agile,
Jurant entre ses dents que, selon l'Évangile,
Il ne jetterait plus ses perles aux pourceaux.

Livre IV, Fable 17, 1856




Commentaires