« Le vieux magicien pour une heure est sorti,
Profitons des instants : je veux, en son absence,
Évoquer le lutin soumis à Sa puissance.
Commandons à mon tour ; voyons si l'apprenti
Aura bien retenu la formule du maître,
Et si, sur mon appel, l'Esprit voudra paraître.
Balai, balai, quitte ton coin,,
De tes services j'ai besoin :
Prends forme humaine :
Et, seaux en main,
À la fontaine
Cours pour mon bain. »
Et voilà le balai qui, changeant de figure,
D'un valet prend soudain la forme et la tournure ;
Un seau dans la main droite, et dans la gauche un seau,
Esclave obéissant, il court à la fontaine,
En rapporte une charge pleine,
La verse en la baignoire ; il s'en va de nouveau,
Revient, vide ses seaux et repart au plus vile.
Et l'apprenti sorcier rit et se félicite.,
« Bravo, s'écriait-il, bravo !
Bien travaillé, balai ! Mais voyons : la baignoire
Jusqu'aux bords est remplie ; il est, je crois, prudent
D'arrêter du lutin le zèle trop ardent.
O ciel ! comment m'y prendre ? Ah ! maudite mémoire !
Malheur !... j'ai beau chercher, je ne retrouve plus
Le mot, le mot qui seul à sa forme ordinaire
Peut rendre ce balai... Que faire ?
Assez, fils de Satan ! mes cris sont superflus ;
Quel rempart, quelle digue opposer à ce flux ?
Encor !... Le misérable à me perdre s'attache ;
Mais qu'il revienne, un coup de haché...
Ah ! tu me braves, tiens !.... Bien frappé, par ma foi !
II est en deux morceaux : au terme de ma peine,
Je puis enfin reprendre haleine.
Mais qu'ai-je fait ? Malheur à moi !
Fatal événement, métamorphose étrange !
Voilà qu'en un valet chaque morceau se change ;
A l'envi l'un de l'autre, un seau dans chaque main,
Tous deux de la fontaine ils prennent le chemin,
Et s'en vont revenir portant charge nouvelle.
Les voici, les voici ! je l'avais bien prévu ;
Quel déluge ! Arrêtez, grâce ! je suis perdu:
L'eau sur les escaliers en cascade ruisselle,
Tout nage dans la chambre, on. irait en nacelle.
O maître, maître, à mon secours !
O maître, accourez vite, ou c'est fait de mes jours. »
Enfin le vieux sorcier rentre dans sa demeure,
De sou art diabolique il était grand besoin.
Il prononce deux mots, et le balai sur l'heure
Quitte la forme humaine et retourne en son coin.
Combien n'a-t-on pas vu d'imprudents politiques,
Dans les temps désastreux de nos divisions,
Contre leurs ennemis, des masses fanatiques
Exciter, soulever les folles passions !
Puis, leurs vengeances satisfaites,
Voulaient-ils maîtriser ces fureurs... vain espoir !
Le foudre populaire éclatait sur leurs le tes :
Us avaient déchaîné le démon des tempêtes,
L'arrêter passait leur pouvair.