Deux sorciers, s'il en fut, francs lourdauds, maladroits ;
Du reste, ayant tous deux le diable au bout des doigts,
Furent, un jour, conduits au parlement de Dôle.
L'un et l'autre, dit-on, avaient appris leur rôle
De Garnier, qu'Astaroth, cause de leur écrou,
Pour manger les enfants changeait en loup-garou.
On jugea qu'à l'enfer ayant donné leurs âmes,
Leurs corps devaient, sur terre, être donnés aux flammes.
L'évêque, bon chrétien, par un coup de hasard,
Se souvint, à propos, de son saint Agobard¹ ;
Et, priant de surseoir à la peine susdite,
Interjeta, pour eux, appel à l'eau bénite.
Sage épreuve ! on remplit deux cuves où du ciel
Le juste arrêt descend avec l'onde et le sel :
Et la foule pieuse accourt pour voir la mine
Qu'a le malin esprit dans la sainte piscine.
Chacun des appelants, lié, pour ce bain froid,
La main droite au pied gauche, et la gauche au pied droit,
Est, comme un goupillon, à la voix magistrale
Du président, plongé dans sa cuve lustrale.
L'un enfonce. « Il se noie ? -Oui. -Bon ! il est sorcier.
Dieu, s'il ne l'était pas, voudrait-il le noyer ? >>
Dit un juge. Et la foule : « Il est bien raisonnable
Que l'eau sainte engloutisse un prophète du diable. »
L'autre surnage. « Eh, bien ! -Impossible à noyer !
Sur l'eau, comme une orange, il flotte ! Il est sorcier !
Quel homme, si l'enfer ne lui tient la courroie,
Est, pieds et poings liés, dans l'eau, sans qu'il se noie ?
- J'ai toujours dit qu'au diable il devrait son salut,
Répond le président. Le seigneur Belzébut
Témoigne, en le sauvant, qu'à bon droit condamnée,
L'âme de ce gueux-ci fut son âme damnée.
Il a fait, le devin, qui dut prévoir son cas,
Pacte avec le Mauvais, pour ne se noyer pas.
En dépit de la cour ce pacte obligatoire
L'a retenu sur l'eau. Je déclare notoire
Dans ce coup du démon, le jugement de Dieu.
Qu'on le brûle : l'enfer ne sauve pas du feu. »
On procède. Et la foule : « Il est bien raisonnable
Que l'eau sainte repousse un prophète du diable. »