Voilà le cerf lancé par la meute. « J'enrage
D'avoir la tête armée, et de montrer le dos !
Oh ! qu'avec ce long bois, né pour faire un héros,
Quelque peu de valeur, qui m'en permît l'usage,
Aurait poussé bien à propos !
Je les éventrerais si j'avais du courage. »
A défaut de courage, il confie à la peur
Sa défense ; il cherche à la course
Son repos : oubliant que faiblesse de cœur,
Qui d'un pied léger fait ressource,
Au nez des assaillants laisse certaine odeur
Qui de leur pied rapide aiguillonne l'ardeur.
Inutiles détours d'une fuite rusée !
En vain la feuille, en vain l'herbe, même arrosée
Des vapeurs du matin, conserve sous ses pas
Et la fraîcheur et la rosée ;
Vainement il l'effleure, et ne la foule pas :
Sur la feuille encor fraîche, et l'herbe encor fleurie,
Le moindre vent qui souffle, à la meute portant
Son fumet de poltronnerie,
Il la rappelle, en l'évitant.
Cependant tout son corps tremble, son flanc s'abaisse ;
De sa sifflante haleine il presse
Les muscles harassés de son sein haletant :
Sa vitesse épuisant sa force, chaque instant
La force manque à sa vitesse :
Chaque danger qu'il fuit le laisse
Plus faible et moins agile au danger qui l'attend.
Pauvre cerf ! il se tue... Arrête ! -<< Oh, non ! la guerre
Me poursuit ! je l'éloigne, et ne puis l'éviter. >>>
Qu'attends-tu donc pour l'affronter ?
Ce qu'il attend ? d'être par terre.
Commençant de combattre au moment qu'il s'abat,
Quand le jarret lui manque, il a recours aux armes.
Mais le temps est passé de charger en soldat :
Il succombe, et donne des larmes
A sa force perdue, en fuyant le combat.

Serait-ce ton image, habile homme d'État,
Qui marchandes la paix, et crois qu'un potentat
Repousse le canon en chargeant le grand-livre ?
Un contrat garantit cette paix qu'on te livre.
Dis-moi quel tribunal garantit ce contrat.
Nomme-moi l'heureux bagne où d'utiles galères
Attendent le héros dont le stellionat,
Ayant vendu la paix, la remet aux enchères.
Abrégeons : montre-moi la fourche où de la hart
Le nœud coulant attend la gorge
Du pacificateur, qui, bien payé, m'égorge,
Ma bourse d'une main, et dans l'autre un poignard.
Montre-moi son gibet, dis-je ; ou, sans plus débattre,
Je pose en fait qu'à mes dépens,
Éviter le combat c'est dire en cerf : J'attends
D'être par terre pour combattre.

Fable 47




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