Dans un lac entouré de charmantes collines,
Un lac au loin connu pour ses limpides eaux,
Et tout près duquel les oiseaux
Éparpillaient leurs notes argentines,
Des poissons prenaient leurs ébats.
Ils descendaient au fond, montaient à la surface,
Se disputant avec audace
Les moindres appâts.
Un pêcheur dans ce lac ayant jeté sa ligne,
Un gros brochet,
Qui s’approchait,
Vit son intention maligne
Et se dit aussitôt qu’il devait protéger
Ses amis, ses semblables :
« Si j’étais, pensa-t-il, en un pareil danger
Leurs avertissements me seraient agréables. »
Là-dessus le voilà
Qui va de ci de là,
Avec une ardeur insensée,
Accostant, sans façons,
Gros et petits poissons
Pour leur dire à tous sa pensée :
— Prudence ! gare à vous ! prudence, mes amis
N’allez pas en ce lieu, fuyez bien cette rive :
Un vieux pêcheur arrive !
L’insolent, il a mis
Dans nos tranquilles ondes
Ses traîtres hameçons et ses appâts immondes.
Voilà comme en ces temps mauvais
On respecte nos chers asiles !
Vous êtes avertis, alors soyez dociles,
J’ai fait mon devoir, je m’en vais.
Content d’avoir prouvé qu’il avait des entrailles,
Il partit. Mais, hélas ! ô destin imprévu !
Lui-même il s’en alla se prendre dans les mailles
D’un filet qu’il n’avait pas vu.
C’est faire une sottise extrême
Que de donner à ses pareils,
Tous les jours, de sages conseils
Et ne pas veiller sur soi-même.