Sire brochet, tyran cruel et dur,
Régnait jadis dans un fleuve rapide,
Riche en poisson, et dont l'onde limpide,
D'un ciel brillant, réfléchissait l'azur.
Mais indigné que deux étroites rives,
Trop proches de chaque côté,
Retinssent ses ondes captives
Et missent un obstacle à sa rapacité,
Il s'écria : «< je sens s'élever dans mon âme
« Des sentiments aussi nobles que beaux ;
Et cédant au feu qui m'enflamme,
De mon empire étroit j'abandonne les eaux ;
Je me souviens, si j'ai bonne mémoire,
Que don Saumon, illustre voyageur,
M'a dit plus d'une fois, et je dois bien le croire,
Que l'Océan était d'une immense grandeur.
Eh bien ! je veux en faire la conquête,
Et joindre cet état à mes états divers.
Les sujets effrayés du souverain des mers
Oseront-ils me tenir tête ?
Depuis longtemps ce n'est qu'un jeu pour moi
D'asservir les poissons qui naissent dans ce fleuve,
Et mes nombreux succès sont une forte preuve,
Que tout doit fléchir sous ma loi. »
Il dit et sur le champ suivit à l'aventure
Un flot qui, vers la mer, le conduisit soudain ;
Mais, du fleuve, il touchait à peine l'embouchure,
qu'il fut pris par un loup-marin.
Fatale ambition, dangereuse manie,
Tu nous ferais encor bien des maux plus cruels,
Si toujours nos projets, grâces aux immortels,
N'étaient accompagnés de beaucoup de folie.