Le Fleuve et le Ruisseau Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Un ruisseau descendait, de chutes en rapides,
 Du pied des Laurentides
 Au fleuve Saint-Laurent ;
 Il murmurait fort en courant,
Non parce que ses flots roulaient en abondance, —
Il n’en avait que peu — mais bien par impudence
 Et pour faire du bruit,
 Afin qu’on fut instruit
 De son passage.

 Lorsque l’on est petit, ma foi !
 On attire les yeux sur soi
 En faisant beaucoup de tapage.

 Il arriva, sans le savoir,
 Avec toute sa véhémence
 Sur les rives du fleuve immense.
 Le fleuve passait sans le voir.

 — Où portes-tu, fleuve, ton onde ?
 Demanda-t-il d’un ton amer.

 — Moi ? je vais au sein de la mer,
 Répondit de sa voix profonde
 Le fleuve qui marchait toujours.

 — Arrête ici ton cours ;
La mer n’a pas besoin de ton onde limpide ;
 Épanche dans mon lit aride
 Tes flots qui vont là-bas mourir ;
C’est moi petit ruisseau que tu dois secourir.

— Tais-toi pauvre insensé ; si je changeais ma course
 Pour obéir à tes propos,

Je remonterais à ta source
 Et t’engloutirais sous mes flots.

Cette fable peut nous apprendre
Que nous aurions parfois de bien profonds regrets
Si ceux que nous prions consentaient à se rendre
 À nos vœux indiscrets.

Livre V, fable 15




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