Le Fleuve et le petit Ruisseau Théodore Lorin (19è siècle)

Dans un immense fleuve un tout petit ruisseau,
Obéissant à la nature,
Portait avec un doux murmure,
A titre de tribut, son léger filet d'eau.
« Quelle téméraire arrogance !
Dit le fleuve orgueilleux. Chétif ! c'est bien à toi
D'oser te mêler avec moi !
Avec moi. qui partout répandant l'abondance,
Majestueusement parcours toute la France !
Sur mes bords, à bon droits vantés,
S'élèvent des palais, d'opulentes cités ;
Tandis qu'obscurément tu serpentes sous l'herbe. »
« Ami, dit au fleuve superbe
Le modeste ruisseau : je l'avoue humblement,
Ton sort plus que le mien peut paraître brillant.
D'opulentes cités n'ornent point mes rivages ;
Mais je fertilise en passant
De riants et gras pâturages.
Hors de ton lit trop souvent emporté,
Tu causes d'horribles ravages :
Moi, constamment tranquille, et jamais redouté,
Je suis aimé, béni ; la bergère timide
Trouve dans mon onde limpide
Un fidèle miroir, un fard pour sa beauté.
Tu méprises, ingrat, ma petitesse extrême.
Eh ! que deviendrais-tu toi-même,
Si, comme moi, mille petits ruisseaux
Ne t'alimentaient de leurs eaux ?
Hélas ! il faut te céder la victoire
Et subir du destin les inflexibles lois,
Car je sens s'éteindre ma voix.
Hâte-toi, cependant, de jouir de ta gloire :
L'Océan nous attend ; sous peu d'heures ses flots
En nous engloutissant nous rendront tous égaux. »

Livre IV, Fable 14




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