Sur les humides bords d'un fleuve, dont les eaux
Aux champs qu'il arrosait promettaient l'abondance,
Tous les cultivateurs semaient en assurance,
Et, de l'aridité ne craignant point les maux
Chacun d'eux croyait voir d'avance
Les plus riches moissons couronner ses travaux.
Déjà plus d'un Guillot et plus d'une Perrette,
De la récolte entr'eux calculant le produit,
Le désignaient pour telle ou telle emplette,
Dont ils devaient encor retirer certain fruit :
A leur compte, en un mot, leur fortune était faite.
Mais le destin souvent conduit
Les choses autrement que l'homme ne projette.
Le fleuve, un jour, grossi par des torrents nombreux,
Funestes enfants des orages,
Franchit, d'un cours impétueux,
La limite de ses rivages ;
Inonde au loin la plaine, et ne laisse en tous lieux
Que la trace de ses ravages.
D'une sombre couleur imbibant son pinceau,
Qu'une autre main, plus habile, retrace
Tous les malheurs causés par ce cruel fléau :
Ma muse est trop timide et n'aurait pas l'audace
D'entreprendre un pareil tableau.
Il lui suffit que cette esquisse,
Qu'elle ébauche, tant bien que mal,
Selon l'usage, lui fournisse
Quelque trait critique ou moral.
Le dernier est pourtant celui que je préfère.
Je sais bien qu'à certains esprits
La critique pourrait aussi ne pas déplaire,
Et que son sel ajoute un charme à nos écrits ;
Mais je crois la morale encor plus nécessaire.
Si comme moi chacun en connaissait le prix,
Du bon Pangloss l'agréable chimère
Se réaliserait..... Mais insensiblement
Je m'éloigne du but. Revenons à mon thème.
Des magistrats de maint gouvernement,
Le fleuve que j'ai peint n'est-il pas un emblème ?
Tant qu'ils sont circonscrits dans les bornes des lois,
Le bonheur en tous lieux fleurit sous leur empire ;
Mais si, des passions écoutant le délire,
Ils les franchissent une fois
Pour se livrer, sans frein, aux actes arbitraires ;
Le peuple gémissant sous un joug odieux,
Ne trouve plus alors que des tyrans dans ceux
Qui n'auraient jamais dû cesser d'être ses pères.