Tout-Laid et Bellot

Léonce Pontonnier (17?? - 18??)


Colin, jeune berger, hérita de son père,
Avec un peu de bien, un tout petit troupeau :
C’était le plus joli de la vallée entière,
Surtout le mieux gardé, car jamais un agneau
Ne tomba, m’a-t-on dit, sous la dent meurtrière
Du loup de la forêt. C’est que le jouvenceau
Avait un chien fidèle, Justement redouté,
Veillant eu sentinelle Sur sa propriété.
Mais le brave animal cachait son beau courage
Sous des dehors peu séduisants ;
Les enfants l’accueillaient chaque jour au village
Des sobriquets les plus plaisants :
On le nommait Tout-Laid…..Et, sans reconnaissance,
De son vieux serviteur Colin se dégoûta
Parce qu’on le raillait, et vite il acheta,
Le donnant pour à-compte, un chien d’une prestance
Coquettement superbe ; épagneul de boudoir,
Bien coiffé, tout soyeux, faisant plaisir à voir
Et qu’on nommait Bellot… Ah ! quelle différence !
Et qu’il s’applaudissait d’avoir fait ce marché !
Surtout d’avoir soldé trois quarts de la dépense,
Par le seul abandon de son ours mal léché,
Notre épagneul dans sa nouvelle place,
Demi-content, fut installé soudain…
Il maudissait une injuste disgrâce
Et regrettait un plus heureux destin.
Colin se pavana la première journée,
Fier d’avoir un tel chien. Ce n’était pas encor
Un savant conducteur, mais la bête, bien née,
Grâce à quelques soins, deviendrait un trésor.
La nuit tombe, et le berger tranquille
S’abandonne au sommeil; il comptait sur Bellot…
Mais bah ! ce beau monsieur s’endort presque aussitôt,
Et ronflait lorsque le loup agile
Se glisse dans le parc, d’un accès si facile,
Égorgeant sans pitié moutons, agneaux, brebis…
A la fin, cependant, les bêlements, les cris
Des blessés, des mourants réveillèrent le pâtre.
Il crut rêver d’abord ; mais quand il eut repris
L’usage de ses sens, il eut bientôt compris
L’excès de son malheur. Tout à l’heure idolâtre
Du mirliflor Bellot, maintenant il le bat,
Le traite de brigand, de gueux, de scélérat,
Traitement rien moins qu’équitable,
Car c’était lui le seul coupable ;
Lui qui s’était montré fou, vaniteux, ingrat.
II commençait à faire un retour sur lui-même,
A regretter Tout-Laid… Lorsque, surprise extrême,
Voilà notre banni qui vient, tout haletant,
Baiser, lécher la main de ce maître qu’il aime…
Un bout de corde encore à son collier flottant,
Témoigne des efforts qu’il a faits, pauvre bête,
Pour retourner vers lui. Quel accueil, quelle fête !
Et quel triomphe! Il fui décidé sur-le-champ
Que sir Bellot serait reconduit au marchand,
Et que Tout-Laid reprendrait son service
Près du troupeau victime du caprice
De l’imprudent pasteur.
Colin fut corrigé par sa mésaventure ;
II reconnut l’erreur
De celui qui préfère une belle figure
Aux qualités du cœur.





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