L'Ogre et la Fée

Victor Hugo (1802 - 1885)


Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Était fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut :

L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.

Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.

On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.

C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite,
Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite,
Que de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d'un ogre est frère de la faim.

Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe.
La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme.
As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ?
Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé.

Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;

Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin.

Toute la lyre, 1861


Un des rares écrits de Victor Hugo que l'on puisse nommer « fable ». Le titre original est Bon conseil aux amants.

Le poème entièer commence par ces vers

L'Amour fut de tous temps un bien rude Ananké.
Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué,
Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute,
On met le naturel de côté. Bête brute,
On se fait ange. On est le nain Micromégas.
Surtout on ne fait pas chez elle de dégâts.
On s'assied, on attend, jamais l'on ne s'ennuie.
On trouve bon le givre, et la bise, et la pluie.
On doit dire: j'ai chaud! quand même on est transi.
Un coup de dents de trop vous perd. Oyez ceci:

Pas très intéressant lorsque l'on veut prendre ce texte comme une fable. On peut très bien se pencher sur ce texte, en primaire, l'apprendre par coeur, mais sans cette première partie, difficile et qui retire au reste sa qualité de fable.

Ce texte a donné lieu à plusieurs chansons.


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