La Mère, la Bonne et la Fée John Gay (1685 - 1732)

Accordez-nous un fils-Le don suit le souhait,
Et père et mère ont le cœur satisfait ;
Et tous deux d'exalter leur primogéniture,
Ce chef-d'œuvre de la nature.

Eveillée aux doux soins de la maternité,
La Maman s'est levée avec célérité,
Pour donner à téter au marmot dans sa joie,
Quand elle voit la Bonne à la douleur en proie.

"Parlez , Bonne, pourquoi cette douleur, ces cris,
Serait-il arrivé quelque chose à mon fils ?"

"Oh! je le jure sur mon âme,
Ne suis point à blâmer, Madame,
La Fée elle est venue, invisible, elle a pris
Votre si bel enfant, et l'horrible voleuse
Nous a laissé créature hideuse
En échange de votre fils.
Où sont la bouche et le nez de son père,
Et les beaux yeux noirs de sa Mère ?
Dans cette créature il n'est en vérité
Que bêtise et stupidité !"
"Cette femme est aveugle, ah ! la gentille bouche ;
Dit la maman, et quels beaux yeux voilà!"

"Madame, voyez donc quel vilain regard louche ?
Bien sûr la Fée a dû passer par là."

Pendant qu'elle parlait un Lutin miniature
Glisse à travers le trou de la serrure,
Il se perche debout sur le haut du berceau
Et puis en ôtant son chapeau :-

"D'où vient," dit-il, " cette erreur sans seconde
Que nous autres esprits peuplons de sots le monde ?
Bien mieux que le Français nous sommes nés malins,
Et nous serions assez bénins
Pour échanger les fils de notre race
Contre de vos enfants la vile populace !
Et d'ailleurs nous aussi nous aimons nos lutins,
Bien mieux, soyez en sûrs, que vos affreux gamins.
Et trouverait-on une mère
Qui troquât son nigaud, fut- ce contre un Voltaire ?
Si nous échangions avec vous,
Vertuchoux !... Nous serions des fous !

Livre I, fable 3




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