La Cigale et le Hibou Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Mon foyer pétille,
La pléiade brille
De vives couleurs ;
. La bise glacée
Peint sur ma croisée
Feuillages et fleurs.

Comme un vrai poète,
Aimant la retraite
Et content de peu,
Le grillon qu'éveille
La flamme Vermeille"
Chante au coin du feu;

Sa gai té m'excite,
Son refrain m'invite
A chanter aussi,
Rimons une fable ;
Petit hôte aimable,
Ecoute ceci :

Dans le voisinage
D'un sombre bocage,
Une de tes sœurs,
Cigale innocente, "
De sa voix perçante
Chantait sous les fleurs.

Un hibou morose,
Qui le jour repose
Et veille la nuit,
Dans la lige creuse
D'une antique yeuse
Avait son réduit.

Or, dès qu'il sommeille ,
L'autre le réveille
Par son cri joyeux.
A cette importune
Il garde rancune
En attendant mieux.

Enfin l'hypocrite
Dit à la petite :
« Que j'aime ta voix !
Philomèle à peine,
Aimable Sirène,
T'égale en nos bois.

Mais, sans être vue,
Sous l'herbe touffue
Pourquoi demeurer?
Viens sur cette, cime,
Chanteuse sublime,
Te faire admirer. »

Elle accourt, joyeuse,
Au tronc de l'yeuse
Grimpé avec effort,
Quand sûr la pauvrette
Le traître se jette
Et la met à mort.

Ainsi dans la vie
Trop souvent l'Envie
Écoute nos chants;
Elle nous caresse,
Tandis qu'elle dresse
Ses pièges méchants.

De ceci, j'espère,
Grillon, mon compère,
Nous ferons profit :
Insecte et poète,
Aimons la retraite
Que le ciel nous fit.

Livre V, Fable 25, 1856




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