Le Cheval et le Chameau Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Un cavalier Français, dans un jour de bataille,
Tomba sous les coups d'un bédouin;
Son cheval, s‘emportant au bruit de la mitraille,
Dans le désert s'enfuit au loin.
- Or, la veille de la mêlée,
Un chameau, profitant des ombres de la nuit,
Du campement arabe était parti sans bruit.
Le hasard les poussa vers la même vallée.
" D'abord à l'aspect du chameau
Le cheval, débarqué nouveau,
Frissonna; mais bientôt il reprit confiance :
D’un animal féroce un chameau n’a pas l‘air
Ii fait un pas vers lui, l'autre aussitôt s'avance
Les voila bons amis: dans le fond d'an désert
On a bientôt fait connaissance.
De craintif qu’il était devenu familier,
Le cheval dit au dromadaire :
« Qui diable t'abattit de la sorte, mon frère
Comme en toi tout est singulier !
Ce cou si long, ce pied difforme,
Et surtout cette bosse énorme !
Je ne veux pas ici, mon cher, t'humilier,
A la tienne pourtant, compare ma figure !
Vais ce poitrail, cette encolure,
Ces crins flottants, cet œil guerrier,
Et cette noble et vive allure.-
— Ami, je me plaindrais à tort de la nature,
Répondit gravement l’animal africain ;
Avançons toutefois : la nuit peut nous surprendre,
Ce sol est aride, et j’ai faim.
Vois-tu ce bois là-bas ? Tâchons de nous y rendre. »

Pour arriver au bois, il fallait traverser
De sable une brillante plaine,
Où le chameau marchait sans peine,
Son pied large et fourchu l'empêchant d’enfoncer ;
Mais le pauvre cheval dans la mouvante arène
Entrait jusqu’aux genoux. Epuise, hors d’haleine,
Il s’en tire a la fin. et suit son compagnon.
Les voici dans le bois, Mais là, pas de fourrage ;
Pour le chameau léger dommage :
Grace à son cou flexible et long,
Des arbres élevés il atteint le feuillage ;
Tandis que le cheval, triste et le front penché,
Maudissant cette terre avare,
Ne trouve qu’avec peine une herbe courte et rare,
Qui croit comme à regret sur ce sol desséché.
« Ma structure tantôt te paraissait bizarre ;
Dit enfin le chameau, quand il eut bien brouté ;
Mais tu vois qu’au désert, par ma race habité,
A la tienne elle est préférable :
Mes pieds, que tu trouvais grossiers,
Sont faits pour marcher sur le sable
Mon cou me fait atteindre aux feuilles des palmiers ;
Ma bosse, à tes yeux méprisable
Est comme un bat qui m'aide à porter les fardeaux
Dont les hommes chargent mon dos.
Je dois donc, tu le vois, bénir la Providence
Des dons que tu blâmais avec tant d'imprudence.
Ami, quand on voyage en pays étranger,
Il faut examiner avant que de juger. »

Livre I, Fable 11, 1856




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