Un renard jeune encor, quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu’il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice : Accourez,
Un animal paît dans nos prés.
Beau, grand, j’en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous ? dit le loup en riant.
Fais-moi son portrait, je te prie.
Si j’étais quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j’avancerais la joie
Que vous aurez en le voyant.
Mais venez. Que sait-on ? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.
Ils vont ; et le cheval, qu’à l’herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,
Fut presque sur le point d’enfiler la venelle[1].
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n’était dépourvu de cervelle,
Leur dit : Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs ;
Mon cordonnier l’a mis autour de ma semelle.
Le renard s’excusa sur son peu de savoir.
Mes parents, reprit-il, ne m’ont point fait instruire ;
Ils sont pauvres et n’ont qu’un trou pour tout avoir ;
Ceux du loup, gros messieurs, l’ont fait apprendre à lire.
Le loup, par ce discours flatté
S’approcha. Mais sa vanité
Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre[2]
Un coup ; et haut le pied. Voilà mon loup par terre ;
Mal en point, sanglant et gâté[3].
Frère, dit le renard, ceci nous justifie
Ce que m’ont dit des gens d’esprit :
Cet animal vous a sur la mâchoire écrit
Que de tout inconnu le sage se méfie.