Le Renard et les Poulets d'Inde Jean de La Fontaine (1621 - 1695)

Contre les assauts d’un renard
Un arbre à des dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,
S’écria : Quoi ! ces gens se moqueront de moi !
Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les dieux ! non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le sire,

Vouloir favoriser la dindonnière gent.
Lui, qui n’était novice au métier d’assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda[1] sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Arlequin n’eût exécuté
Tant de différents personnages.
Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages.
Pendant quoi nul dindon n’eût osé, sommeiller.
L’ennemi les lassait en leur tenant la vue
Sur même objet toujours tendue.
Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tombait quelqu’un : autant de pris,
Autant de mis à part : près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d’attention qu’on a pour le danger
Fait le plus souvent qu’on y tombe.

Livre XII, fable 18




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