A travers champs, fuyant à perdre haleine,
Un vieux Renard courait comme un perdu ;
Un renardeau qui chassait dans la plaine
En prend pitié le voyant éperdu,
Et cherche à soulager sa peine..
Père, dit-il, reposez-vous;
Je n’entends rien ; la chasse est loin sans doute
En tout cas je suis frais, je ne crains pas les coups ;
Et si les chiens viennent à nous,
Je vous relaye et les déroute,
Grand merci, répond le vieillard ;
Mais ton secours, ami, ne m’est pas nécessaire :
C'est moi qui prétends au contraire
Te secourir. Viens suis-moi sans retard ;
Déloge, ami sous ma conduite,
Et des motifs de notre fuite
En cheminant je vais te faire part.
Le monarque de cette terre
Fait préparer son attirail de guerre ;
Et partout mulets et chevaux,
Partout dromadaires, chameaux,
Sont arrêtés pour porter l’équipage ;
C'est ce qui cause mon effroi :
Je ne veux point tâter de l’avantage
D'être éreinté sous les coffres du roi
Et j'aime mieux plier bagage.
Ainsi parlait le vieux routier,
Toujours courant, L’autre se prit à rire :
Père, dit-il, c'est un délire :
Avez-vous peur que quelque muletier
Nous prenne pour bêtes de charge?
Ami, prenons toujours le large,
Reprend alors le vieux fuyard :
Je sais bien en ma conscience
Que j‘ai l'honneur d’être renard ;
Mais, mon enfant, j’ai de l'expérience :
Si l'intendant du roi met la main sur ma peau,
En disant à quelques gendarmes,
Saisissez, c’est un chameau ;
Ne crois pas que raisons ni larmes
Puissent m’exempter du cadeau ;
Je serai chargé bien et beau,
Sans que je puisse m’en défendre ;
Et je mourrai sous le fardeau,
Avant qu’on ait daigné m’entendre.

Livre I, fable 7




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