Un campagnard demi-lettré,
Grand lecteur de journaux et profond politique,
Trouvait que tout allait de travers à son gré
Dans le gouvernement de la chose publique.
Tandis que, tout le jour, à ses calculs livré,
Il refait la Charte à sa guise,
Qu'il réforme l'État ; et l'armée et l'Église,
Ses fils, abandonnés sans guide à leurs penchants,
Se livrent aux écarts d'une vie effrénée,
Ses domestiques, ses agents,
Dorment la grasse matinée,
Et bien ayant le soir ont fini leur journée.
Aussi Dieu sait comment tout va dans sa maison !
L'ivraie étoufse sa moisson ;
Sa vigne mal taillée et d'engrais appauvrie,
N'offre que jets rampants sur un terrain bourbeux ;
Mal nourris, mal soignés, ses chevaux et ses bœufs
Dépérissent à l'écurie ;
Chaque soir au bercail il manque quelque agneau,
Et ce n'est pas toujours lé loup seul qui les mange.
L'œil du maître, on le sait, engraisse le troupeau.
Féconde le sillon, et double la vendange ;
Mais quand le maître ne voit rien,
Tout se perd, tout se gâte, et rien ne vient à bien.
Un jour donc notre personnage,
Oracle de son voisinage,
Déclamait, au milieu d'auditeurs ébahis,
Contre les abus du pays ;
Tandis qu'il tranche et qu'il ordonne,
Qu'il raisonné et qu'il déraisonne,
Changeant, rectifiant, en petit potentat,
Les lois de la culture et les lois de l'état,
Thomas, vieux laboureur à demi sourd, s'informe
De ce qu'il vient de dire et répond : « Tous tes plans,
Voisin, sont peut-être excellents,
Mais fais d'abord chez toi l'essai de ta réforme ;
Puis, quand nous aurons vu tes champs mieux cultivés,
Tes valets plus actifs, tes fils mieux élevés,
Tes troupeaux mieux soignés et plus gras que les nôtres,
Prêche alors, enseigne les autres :
Tes systèmes, enfin, parmi nous auront cours
Quand l'exemple viendra confirmer tes discours. »
En beaux parleurs la France abonde ;
Thomas à beaucoup d'eux' dirait, non sans raison :
Toi qui veux réformer le monde,
Réforme d'abord ta maison.

Livre II, Fable 12, 1856




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