L'Ours et les Abeilles Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Dans les Alpes mainte fois
J'ai vu les bons villageois
Placer les hautes corbeilles,
Pénates de leurs abeilles,
A la lisière des bois.
C'est surtout quand la peuplade
Est languissante ou malade,
Qu'on la porte un beau matin
Aux lieux où fleurit le thym.
Un jour vers un des asiles
De ces insectes agiles
L'ours s'avançait en flairant,
Quand une abeille, rentrant
Dans son pavillon de cire,
Piqua le museau du sire.
Vain, querelleur, entêté
Comme un sot, l'ours se courrouce,
Et, dans sa stupidité,
D'une brutale secousse
Il renverse sur la mousse
La bourdonnante cité.
Tout fier de cette vengeance,
Mon butor en diligence
S'en allait rentrer au bois,
Quand des ruches culbutées
Les abeilles irritées
Sortent toutes à la fois.
Dans leur ardente colère,
Elle saiguisent leurs dards,
Et fondent de toutes parts,
Sur l'ennemi téméraire
- Qui renversa leurs remparts.
Vainement vers sa tanière
Au pas de course il s'enfuit ;
L'escadron volant le suit ;
Vainement sur la poussière
Il se roule en rugissant,
Les abeilles écrasées
Par d'autres sont remplacées
Et leur nombre va croissant.
Enfin l'ours, que ce supplice
Rend aveugle et presque fou,
En courant sans savoir où,
Tombe dans un précipice,
Et, de roc en roc roulant,
Arrive au fond tout sanglant.

D'une offense légère en voulant se venger,
Tel un sot quelquefois met sa vie en danger.

Livre II, Fable 19, 1856




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