L'Ours et le Renard Édouard Granger (19ème siècle)

Un ours à l'esprit inventif,
Dans le fond d'une solitude,
Consacrait ses jours à l'étude
De maint travail spéculatif.
11 était très versé dans les mathématiques,
La chimie et surtout dans les arts mécaniques;
Mais, pauvre comme Job, notre illustre savant
Avait un fort maigre ordinaire ;
Mémo il ne dînait pas souvent.
Songer au lendemain n'était pas son affaire.
Cependant, mieux que lui, personne n'avait l'art
D'inventer des engins, des pièges,
Lesquels, pour un lopin, à Samuel Renard,
Étaient livrés avec lourds droits et privilèges.
C'était donné, direz-vous; mais, enfin,
Il faut manger, et que ne peut la faim !
Los renards sont pou forts sur la délicatesse ;
Or, le nôtre exploitait à plaisir la détresse
Du pauvre Vaucanson. On comprend qu'à ce jeu
L'un devait gagner gros, mais l'autre gagner peu.
Un jour l'ours réfléchit et dit à son compère :
« Ami, vraiment je désespère
De connaître jamais l'aisance et le bonheur !
A vous tout réussit, à vous tout est propice.
Du Ciel j'accuse l'injustice :
D'où lui vient donc pour moi cette rigueur ?
— Mon cher, dit le renard, d'une plainte importune
Souvent nous fatiguons los Dieux :
De nous en prendre à nous ne ferions-nous pas mieux ?
Tandis quo dans un coin vous rêvez la fortune,
Je la cherche, j'agis et je cours au-devant.
Avec vous, on un mot, sur doux points je diffère :
Vous êtes érudit et je suis peu savant ;
Vous avez le savoir, moi j'ai le savoir faire. »

Livre I, fable 1




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