Le Coursier et sa Mère Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Un coursier venant de la guerre,
Contait à madame sa mère ;
Arrêtons-nous pour un moment.
Fut-il une dame Jument ?...
S’il en fût ! voyez l’héraldie,
En Angleterre, en Tartarie :
On y met haut les râteliers.
Malheur aux demi-roturiers ;
On prouve soixante quartiers,
Pour entrer dans telle écurie.
Notre coursier disait, maman,
Il faut me voir dans la carrière :
J’effleure à peine la poussière,
Et semble, en mon rapide élan,
Un tourbillon, un ouragan.
Ah ! si vous voyez ma crinière
Se déployer au gré du vent !
Mon œil, comme il est flamboyant !
Il ferait pâlir la lumière.
L’écume qui blanchit mon frein
Couvre de perles le terrain ;
Et, ce n’est pas une chimère,
Car je le tiens de mes rivaux,
II me sort du feu des naseaux.
Aussi crois-je que, de ma gloire,
On a dû vous entretenir ;
Mais il me faut la soutenir.
A mon âge on ne peut dormir
Que dans le sein de la victoire.
Cherchons des lauriers à cueillir :
Si je pouvais orner ma tête,
De celui qu’ici l’on apprête
A qui saura le mieux courir,
Je pourrais m’en enorgueillir.
Mon fils, ce sont des jeux d’adresse,
Dit la Jument : il faut de l’art ;
C’est le fruit d’une école à part
La palme qui vous intéresse,
Un bidet peut vous la ravir ;
Abandonnez cette fumée
A ceux qui s’en voudront nourrir.
Quand à la haute renommée,
La fortune vous a conduit ;
Ce qui n’ajoute rien, détruit.

Fable 2




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