Le Lion et le Renard Louis-François Jauffret (1770 - 1850)

Par un événement dont, je ne sais pourquoi,
L'histoire n'a rien osé dire,
Le Lion vit un jour chanceler son empire :
Ses sujets mécontents voulaient changer de roi.
Triompher par la force était en sa puissance ;
Il n'avait pour cela qu'à se montrer Lion.
Il fit mieux. D'un Renard employant l'éloquence,
Il apaisa les chefs de la rébellion,
Et tout rentra dans l'ordre et dans l'obéissance.
Notre Renard tout fier, (on le serait à moins),
Se présente alors au monarque,
Espérant recevoir, pour loyer de ses soins,
De sa reconnaissance une éclatante marque.
Le Lion le prévient, et lui parle en ces mots :
Je suis content de toi. Sitôt que mes vassaux
M'apporteront ici leur tribut ordinaire,
Je te ferai ta part. Ils ne tarderont guère.
— Ah ! sire, un courtisan sait se nourrir d'espoir.
J'attendrai vos chasseurs. Ils vinrent sur le soir,
Portant gibier, suivant l'usage,
De tout poil et de tout plumage.
Le Renard à choisir n'eut point eu d'embarras.
Il vous lorgnait surtout une superbe outarde,
Mets pour lui des plus délicats.
Sire Lion s'approche, énumère, regarde :
Ami Vulpin, dit-il, il n'est rien là pour toi.
Je veux, en cette circonstance,
Signaler ma reconnaissance,
Et te récompenser en roi.
La chasse de demain sera, je crois, meilleure.
A demain. Le Renard revint à la même heure.
Attentif, empressé, dès la chute du jour,
De sa traînante queue il balayait la cour.
Le Lion, devinant le but de sa visite,.
S'écrie à son aspect : quelle fatalité !
La chasse d'aujourd'hui ne m'a rien présenté
Qui soit digne de ton mérite.
J'aurais honte vraiment de m'acquitter si mal.
Ce n'est pas à demi que je suis libéral.
Attendons, je te le conseille.
Le Renard s'éloigna tout en baissant l'oreille.
Sa majesté, dit-il, je le vois bien un peu,
De me tromper se fait un jeu.
Passons-lui ce plaisir ; étouffons toute plainte.
Qui veut vivre à la cour avec sécurité
Doit s'accoutumer à la feinte,
Et mettre l'orgueil de côté.

Livre III, Fable 19




Commentaires