Pourquoi donner un mors à ce noble animal ?
Disait un magister en voyant un cheval
Que dressait dans la plaine un écuyer habile.
A qui chérit l’honneur, la bride est inutile.
— « C’est votre avis, lui dit le cavalier ;
Je cède et suis votre écolier.
Point de mauvaise honte. »
Il descend de cheval, le magister y monte,
Armé du licol seul, tout naturellement,
Comme Jean, lorsqu’aux prés il mène sa jument.
Il n’était pas dessus, que le coursier l’emporte.
Le magister avait la hanche forte ;
Il tient ferme, et déjà le voilà sur un pont
Qu’enfilait un convoi suivi de son escorte.
Le cheval s’en étonne, il fait maint et maint bond,
Et puis du plus beau saut du monde,
Malgré les garde-fous, il va plonger dans l’onde
Avec son cavalier. Après un tel effort,
L’un des deux animaux sur le coup resta mort,
Et ce fut le coursier. Le pédant, plus vivace,
Par quelques bateliers fut sauvé, mis à bord.
Sitôt qu’il put parler : « Messieurs, je n’ai pas tort,
Dit-il en faisant la grimace ;
Et je soutiens toujours qu’il ne faut point de mors »
Sont-ils moins entêtés ces doctes politiques,
Champions maladroits des libertés publiques,
Qui, montés sur le peuple, et d’un train qu’il faut voir,
Lui font de chute en chute éprouver leur savoir ?