Le Chapon et le vieux Coq Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Le cuisinier d'une bonne maison
Était chargé de la dépense ;
Je crois que cela me dispense
D'ajouter qu'il gagnait sur chaque livraison,
Plus ou moins, comme de raison.
Et ce qui fait que je le pense,
C'est qu'il comptait toujours dix francs pour un chapon.
Cet homme était donc un fripon ?
Non, gardez-vous bien de le croire ;
Il faisait son petit métier,
Messieurs, voilà toute l'histoire ;
Car on sait que tout cuisinier
Fait danser l'anse du panier.
La dame du logis, un jour, par aventure,
En se promenant en voiture,
Chez un poulailler voit pendu
Aux crochets de la devanture,
Un chapon bien plumé, bien blanc et bien dodu.
Elle descend, entre et demande
Le prix qu'il doit être vendu.
Cinq francs, lui répond la marchande.
La dame paie et part. Arrivée à l'hôtel,
Elle descend à la cuisine,
Et dit au moderne Vatel :
Voyez-moi ce chapon ; n'a-t-il par bonne mine?
Il me coûte cinq francs, pas plus. Oyant le prix,
Notre cuisinier se croit pris.
Cinq francs ! On a trompé madame,
Dit-il , reprenant ses esprits,
Et, je le jure sur mon âme,
Ce chapon qui paraît si gras,
Ne fera qu'un rôt détestable,
Indigne en tout de votre table,
Et vous ne le mangerez pas.
Il disait vrai ; car, dès que sort la dame,
Il porte le chapon chez le premier marchand,
Prend le coq le plus vieux qu'en échange il réclame ;
Le marché se fait sur le champ.
De retour au logis, le vieux coq il apprête ;
Il le déguise comme il faut,
Et puis le sert bien rissolé, bien chaud .
Aussitôt on se met à dépecer la bête ;
Mais de la dent on a beau s'escrimer,
La chair résiste, on ne peut l'entamer.
Notre homme, témoin de la fête,
De rire était près de pâmer.
Guillaume, lui dit sa maîtresse,
Mon chapon ne vaut rien, maintenant je le vois ;
Je ne m'y connais pas assez, je le confesse ;
Je dois m'en rapporter à vous une autre fois.
C'est ce que voulait le matois.

Et quant au sens de cette fable,
Je ne vous dirai pas quel est le véritable :
Le plus clairvoyant choisira
La morale qui lui plaira.

Fable 15




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