Autrefois une tourterelle
Ayant eu la douleur de voir un épervier
Lui ravir son mari, des époux, le modèle,
Renonça pour toujours à se remarier.
Désirant cependant ne pas vivre inutile
(Chacun se doit à la société),
Elle ouvrit dans le fond d'un bocage écarté
Une école aux petits de la gent volatile.
Tous indistinctement gratis furent admis.
— Sachez, leur disait-elle, ô mes petits amis,
Qu'il existe pour tous un bon, mais juste maître.
Qui punit tôt ou tard sans pitié le méchant
Et récompense l'innocent.
Gardez-vous de le méconnaître.
Soyez toujours d'affable et bienveillante humeur :
La douceur et la bienveillance
Sont des vertus qui viennent d'un bon cœur.
Jouez, amusez-vous, mais que la violence
Ne trouble pas vos jeux : très souvent on commence
Par des propos piquants, et puis bientôt avec
Les mots injurieux viennent les coups de bec.
Jamais d'orgueil : la modestie
Plaît et gagne les cœurs ; surtout, mes chers enfants,
Des oiseaux mal famés fuyez la compagnie.
Ce fut ainsi qu'en peu de temps
Notre fervente tourterelle
Parvint par ses soins incessants
A faire de sa classe une école modèle.
C'était plaisir de voir tous ces petits oiseaux
Doux, soumis, attentifs à ses moindres signaux,
Suivre en tout ses leçons, respecter ses défenses.
Mais hélas ! arriva l'époque des vacances !
Nos oisillons joyeux ont hâte de revoir
Leurs papas, leurs mamans qui, du matin au soir,
En pleine liberté, sans soucis les laissèrent
Et se montrèrent
Souvent plus qu'indulgents pour leurs petits méfaits.
Quel changement, grands dieux, lorsque vint la rentrée !
Que l'exemple du mal a de fâcheux effets !
Un petit geai pimpant, à la mine assurée,
Jusque-là si modeste, à chacun se vantait,
Etalait fièrement son aile diaprée,
Prenait des airs et s'admirait.
Une jeune margot, jadis la douceur même,
A ses cris mêlant le blasphème,
Jacassait et se disputait,
A ses voisins cherchait querelle.
Au désespoir, la tourterelle
Veut imposer silence, un malin sansonnet
Répond effrontément par un coup de sifflet
Suivi d'un horrible tapage.
Tous s'en mêlent jusqu'au plus sage ;
Pour mettre à la raison tout ce peuple mutin,
Elle veut employer un sévère langage ;
Malgré ses efforts, son courage,
La pauvre institutrice y perdit son latin,
Et s'en alla cacher loin de Là sa tristesse.
Parents, qui m'écoutez, qui vous plaignez sans cesse
Que vos enfants, ainsi que mes petits oiseaux,
N'ont ni docilité, ni respect, ni tendresse,
Sont dissipés, ont des défauts,
Et qui vous étonnez de ce qui peut produire
Ce mal qui tous les jours empire,
Je pourrais bien ici tout haut le décliner ;
Mais, comme ce serait peu séant de le dire,
Je vous le laisse à deviner.