Le Singe charlatan Pierre Chevallier (1794 - 1892)

Singe des plus madrés, Bertrand, dès le jeune âge,
Servait un maître charlatan.
Ennuyé d'être en esclavage
Chez son marchand d'orviétan,
Il le quitte un matin qu'ils allaient à la foire
Et traversaient un très grand bois.
Mon drôle avait eu soin, à ce que dit l'histoire,
D'emporter son tambour, son sac et son hautbois.
— Enfin nous voici notre maître,
Dit-il, en se voyant en pleine liberté.
Prenons d'abord pour logis ce vieux hêtre,
Puis, en singe expérimenté,
En singe pourvu de prudence,
Avisons maintenant à notre subsistance.
Il est, n'en doutons pas, dans ce bois, comme ailleurs,
Bon nombre de jobards et peu de connaisseurs.
Convaincu de ce fait, au fond d'une clairière
Ceinte de tous côtés par de sombres bosquets,
Bertrand s'en va cueillir des feuilles de fougère
Dont il forme à l'écart de-tout petits paquets,
Y ers son arbre revient, sur le faîte se pose,
Fait retentir au loin son tambour, son hautbois,
Assemble en un instant les habitants du bois,
Par de grands airs leur en impose,
Fait trois profonds saluts et s'exprime en ces mots :
— Je supplie ayant tout l'honorable assistance
De m'excuser d'avoir, en cette circonstance,
Troublé d'aussi matin son paisible repos.
Dans ce bois n'étant de passage
Que pour deux heures seulement,
Et ne pouvant retarder mon voyage,
J'ai voulu profiter de ce trop court moment
Pour vous donner à tous avis que je possède
Un incomparable remède
Qui guérit tous les maux, même le mal de dent.
Mon digne bis-aïeul, célèbre botaniste,
Qui fut du Grand-Mogol le premier herboriste,
Le découvrit sur le sommet
Des monts escarpés du Thibet.
Avec ce spécifique asthme, paralysie,
Blessures provenant de coups d'armes à feu,
Catarrhe, oppression, rhumatisme, phthisie,
Disparaissent soudain, pour lui ne sont que jeu.
Devant son auditoire aussitôt il étale
Son merveilleux remède, ajoutant : — Mes amis,
L'intérêt que je porte à la gent animale
Me fait vous le donner gratis ;
Cependant dans mon sac je reçois quelques fruits
Pour continuer mon voyage.
Chacun des assistants, après ce beau langage,
S'empresse d'aller au logis,
Apporte, l'un des noix, des raves et des bettes,
Celui-ci des marrons, un autre des noisettes,
Et reçoit, en retour, de feuilles un paquet
Qu'il croit bien fermement venir du mont Thibet.

Vantés par maints journaux, aux cent mille trompettes,
En ce siècle que de Bertrands,
Attrapent de crédules gens !

Livre IV, fable 1




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