La Taupe et l'Alouette Pierre Doré (17** - 1816)

Dans les beaux jours de la saison charmante,
Où le plus doux spectacle aux regards se présente,
La taupe au lever du soleil,
Sortit de son trou, près du gîte
Où l'alouette avait pris son sommeil.
Aussitôt celle-ci l'invite
À célébrer l'astre vermeil,
Dont les feux renaissants rendent à la nature
Sa plus ravissante parure.
Ô qu'il est beau ! qu'il est charmant !
S'écriait-elle, et qu'il est bienfaisant !
C'est lui qui rend aux prés leur brillante verdure ;
C'est lui qui dans les champs parés de mille fleurs
Fait éclater les plus riches couleurs.
La nuit enveloppant la terre de ses ombres,
Y semble de la mort jeter les voiles sombres ;
Mais au retour brillant des rayons du soleil,
Qu'annonce à l'horizon l'aurore avant-courrière ;
Tout vit, tout se ranime, et dans un gai réveil
Retrouve sa vigueur première.
La fertile rosée et les douces chaleurs
Fécondant le sein de la terre,
De toutes parts je vois croître les fleurs.
Soudain prenant l'essor vers l'auteur radieux
De ces agréables spectacles
Enfantés par tant de miracles,
Je redouble mon vol, et je m'élève aux Cieux.
Du plus près que je puis, mon œil le considère ;
Toute ma voix alors, et mes plus tendres chants
Ne peuvent exprimer tout ce que sa lumière
M'inspire de doux sentiments.
Que me contez-vous là ? répond l'aveugle taupe,
Digne de figurer dans les tableaux d'Ésope ;
Quoi ! vous croyez bien ferme au soleil, aux couleurs,
Aux fleurs, à la verdure, aux rayons de lumière ?
Sans doute vous rêvez, ma crédule commère,
C'est votre enthousiasme, ou ce sont vos vapeurs
Qui vous font adopter si stupide chimère.
Non : rien de tout cela ne saurait exister
Que dans un cerveau creux et prompt à s'exalter.
Car, dites-le-moi, je vous prie,
N'est-ce pas fanatisme et folle rêverie
De juger existant ce qu'on ne peut toucher,
De tenir pour certain ce qu'on ne peut comprendre,
Or, ce fameux soleil, j'ai beau penser, chercher,
Avec tout mon esprit, je n'y puis rien entendre.
Concluez avec moi, donc il n'existe pas.
Je sens la dureté des pierres sous mes pas ;
Je discerne le goût et l'odeur des racines
Dont j'assaisonne mes repas.
J'entends quelquefois le fracas
Que fait le vent dans les forêts voisines ;
Voilà ce que je crois. Mais toutes ces beautés
Dont vos sens, dites-vous, sont ravis, enchantés,
Ne sont que duperie et qu'imposantes fables
Que le préjugé seul peut croire véritables.
Les habitants de l'air, aisément éventés,
Sont peuple et bonnes gens, faciles à séduire :
Combien peu comme nous sentent les vérités,
Et savent de l'erreur braver le vieil empire !
Vive la taupe : esprit ; talents, tout est chez nous ;
Tous les autres ne sont que des sots, que des fous.
Eût-il fallu répondre à tout ce vain délire ?
L'alouette fit mieux elle ne fit qu'en rire.
Cependant notre aveugle et risible animal,
Par cent propos de même étoffe,
Raisonnant toujours au plus mal
Se prétendait grand philosophe.
Que d'esprits de nos jours, par tels raisonnements
Se prétendent ainsi, seuls sensés, seuls savants ;
Railleurs hardis, leur orgueil apostrophe
La foi, la piété de surnoms méprisants,
Bravant le Dieu qu'au Ciel tous les êtres adorent,
Ils blasphèment sans frein tout objet qu'ils ignorent.
Insensés, ils voudraient au jugement humain
Soumettre tout, jusqu'au pouvair divin !
Raisonneurs faux et téméraires
Ne suivant qu'une aveugle et malade raison,
Toujours prise aux filets de quelque passion,
Ils osent contester les plus sacrés mystères ;
Et courent embrasser les plus folles chimères
Qui flattent tant soit peu les vices de leurs cœurs.
Laissons-les s'éblouir de leurs fausses lueurs,
Ou fastueux éclat de leurs phrases altières,
En vain nous vantent-ils leurs sublimes lumières.
Dès qu'ils veulent de Dieu sonder les profondeurs,
C'est la taupe qui veut décider des couleurs.





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