Dans la saison où la triste Nature
Porte le deuil, où pour toute parure
Elle revêt la neige et les frimas,
Le Voyageur avait empreint ses pas
Sur le sentier qui traverse la plaine
Et qui conduit à la forêt prochaine.
Près du chemin, sous un épais buisson,
D'affreux Serpents s'étaient fait un repaire,
Si de repaire on peut donner le nom
A ce taudis, où la dure saison
Ne leur laissait que froid et que misère.
D'une mort lente un d'entr'eux s'ennuya,
Et sur la route, avec peine, essaya
De se traîner, languissant et débile.
Sachant encor son métier de reptile,
Il y parvint. D'abord on s'effraya ;
Bientôt après au Serpent ! on cria :
Sur le chemin un Villageois qui passe,
De son bâton, en jurant, le menace :
L'autre de loin lui lance un gros caillou :
Aces assauts, la patiente Bête
Tournait les yeux de l'air le plus honnête,
Et semblait dire, en allongeant le cou :
Je suis Serpent, il est vrai, la Nature
M'a formé tel, et m'a fait cette injure ;
Mais ce n'est pas son instinct que je suis....
Si vous saviez quel bon Serpent je suis !

Les regardants comprenaient ce langage.
De l'attaquer on cessa ; le Village
Le visitait et lui venait offrant
Du lait, du grain, du gâteau, du fromage :
Il mangeait tout dans la main : nul Enfant
N'en avait peur : Fillette, grande et sage,
D'abord craintive, en approchait, disant :
Comme il est doux ! Mon Dieu ! le bon Serpent !
Les Vieillards seuls criaient : qu'on s'en méfie !
Qui dit Serpent, dit traître, dit méchant.
On se moqua de leur philosophie.

Vint le printemps : le Serpent disparut.
Dès que le bruit au village en courut,
On le pleura dans toutes les familles.
Pauvre Serpent ! disaient les jeunes Filles :
Que deviendra, du monde abandonné,
Seul dans les bois, un Serpent si bien né ?
Deux jours après, la plus belle pleureuse,
Dans l'herbe humide, auprès d'elle, entendit
Glisser, siffler.... Attentive et peureuse,
Elle veut fuir : la douleur l'avertit
Qu'il est trop tard : son pied, sa jambe nue,
Piqués au vif, sont bientôt enlaces
Et de longs plis et de replis pressés.
Elle cria ; sa voix fut entendue :
De la maison l'on accourt à ce cri.
Qu'aperçoit-on ? le Serpent favori
Qui, tout gonflé de venin et de rage,
Attaque et mord celle qui l'a nourri,
Et voudrait mordre ainsi tout le village.

Pour mendier un généreux secours,
Dans le malheur le Méchant peut tout feindre :
Il sait vous prendre au miel de ses discours.
Fuyez, fuyez : car s'il peut vous atteindre,
Il reviendra plus fort et plus à craindre,
Ingrat surtout : le Méchant l'est toujours.

Fable 31




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