Le Vizir et le Favori Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)

Un pauvre homme de mérite,
(Car Mérite et Pauvreté
Ont quelquefois habité
Tous les deux le même gîte)
La Cour alla visiter,
Demandant, non des richesses,
Non du Prince les largesses,
Mais du pain pour exister.

Du Roi la porte était close :
Au Vizir il a recours ;
Naïvement il expose
Ce qu'il a fait pour la cause
Que publique on dit toujours,
Même quand c'est autre chose.
Puis, il lui peint son malheur,
Et le besoin qui l'accable.
Ce Vizir a dans ma Fable,
Quoique Vizir, un bon cœur.
Il accueille, il encourage
L'infortuné Voyageur ::
Vite au Sultan son seigneur
Il va retracer l'image
Du talent, de la vertu,
De maint service rendu,
Et d'un triste et long naufrage :
Le Sultan même est ému.
Mais à la Cour tout s'efface,
Un jour finit, l'autre passe ;
Le Protégé du Vizir
A solliciter se lasse,
Et ne peut rien obtenir.

Un Favori chez ce Prince
Réglait tout : le Demandeur,
Frais arrivé de province,
N'implora point sa faveur ;
Il resta dans la détresse :
Pourquoi ? C'est qu'à Sa Hautesse,
De lui, de ses intérêts,
Le Vizir parlait sans cesse
Et le Favori jamais.

Ô toi qui de nos faiblesses
Prétends redresser le pli,
Anotre esprit tu t'adresses,
Et mets le cœur en oubli !
De tes verbeuses sentences,
De tes graves remontrances
Sais-tu d'où vient le décri ?
Au Visir toujours tu penses,
Et jamais au Favori.

Fable 42




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