Dans le cœur d'un chien la tendresse
Pour l'homme est un besoin, comme l'air pour l'oiseau.
Mais nous voyons que pour sa propre espèce
D'un tel penchant l'exemple est plus nouveau.
Tout près d'une ville de guerre,
Sur la Moselle, on vit naguère
Charrier un glaçon.
Je ne sais par quelle aventure,
En si rude saison,
Un chien en a fait sa voiture.
Transi, pleurant,
Assez vite il s'avance.
Des hommes passent... en riant ;
Le sauver du danger... Las ! personne n'y pense !
Mais, à quelque distance,
Sur la rive, un barbet
Entend, voit son frère inquiet...
11 va, court, avertit son maître,
Trépigne, revient sur le bord,
Crie, aboie, appelle plus fort,
Et, ne voyant paraître
Qu'un grand nombre de curieux
Aux maux des bêtes peu sensibles,
Le barbet, tendre, affectueux,
Rampe à leurs pieds, montre le malheureux
Caresse, lèche, prie... ils sont inaccessibles
À la pitié!... Dès lors, désespéré,
Il s'élance, plein de courage,
Dans le torrent de glaçons encombré,
Se hâte, essoufflé, nage,
Se presse encor, lutte contre les flots...
Son entreprise est téméraire...
Mais il aborde enfin son frère,
Qui l'accueille, étouffé dans ses joyeux sanglots...
Le sauveur l'entraîne dans l'onde,
Le guide, le soutient,
Et dans ses efforts le seconde ;
Enfin, vers la rive il revient !
Il est sauvé, ce frère ! et par qui ? par un chien..
Gloire, vanité, récompense,
Rien n'a stimulé son ardeur ;
Et pas même l'espoir de la reconnaissance,
11 n'a consulté que son cœur.
Ah ! pour l'homme qui pense,
Quelle matière à réflexion !
Qu'elle est grande, cette leçon !...