La Tourterelle et la Pie Raymond de Belfeuil (19ème siècle)

Une pie, un jour, se glissa
Dans le nid d'une tourterelle.
« Je viens vous voir, bonsoir, dit-elle ! »
Puis aussitôt elle jasa
Sur celle-ci, sur celui-là,
Autant qu'un oison le peut faire.
La voilà racontant les cancans du quartier,
Et médisant du pays tout entier,
Au point qu'elle troubla la jeune solitaire.
« Quoi ! vous ne saviez pas? Bon Dieu! d'où sortez-vous ?
Je reste dans mon nid, de crainte des jaloux ;
Car, je vous le dirai, j'abhorre l'injustice :
Elle nous cause tant de maux !
Je n'entends rien à la malice,
Et n'ai l'oeil que sur mes défauts.
— La bonté ? quelle duperie !
Et qu'en résulte-t-il ? c'est que chacun vous mord,
Vous devenez le jouet du plus fort,
Et le méchant vous calomnie ;
Tandis, qu'à se moquer des travers du prochain,
On passe bien souvent pour avoir du génie.
— Vous me prêchez en vain,
Reprit la tourterelle; écoutez, je vous prie,
Et ne jouons point sur les mots:
Apprenez que la moquerie
Fut de tout temps l'esprit des sots.
Je prétends, moi, qu'on soit polie
Et qu'on laisse à chacun son bien,
Or, d'après vous, si j'entends bien.
L'honnêteté, c'est duperie;
Tout le genre humain ne vaut rien !
— Sans doute, et je m'en vais vous le prouver sur l'heure.
— N'en prenez point la peine, et trêve de discours !
Cessez de troubler ma demeure ;
Je suis aveugle ? Eh ! bien, je veux l'être toujours. »

Laissons les sots et les méchants médire ;
Le sage fuit leurs odieux propos,
Et s'en console avec ces mots :
Bien faire et laisser dire.

Fable 31




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