Les deux Tourterelles Pierre Didot (1761 - 1853)

Pourquoi, sensibles tourterelles,
Dont l'amour fait gémir la voix,
N'êtes-vous plus , comme autrefois,
Le symbole des cœurs fidèles ?
On ne croit plus dans l'univers
A votre constance éternelle.
Hélas ! tous les yeux sont ouverts
Sur ceux qui servent de modèle.
Pour les surprendre une fois en défaut
Il n'est rien dont on ne s'avise ;
S'ils y sont pris, c'est autant qu'il en faut :
Le modèle a failli, son exemple autorise.

Une pourtant avec son tourtereau
En même cage dès l'enfance,
Mais libre d'en sortir, l'aimait avec constance,
Lui trouvait chaque jour quelque agrément nouveau.
De la cage en tout temps la porte était ouverte,
Et rarement le mâle en profitait.
Pour la femelle, elle restait :
L'honneur est précieux, elle en craignait la perte.
Un jour le mari part , il sort pour s'égayer.
La tendre épouse en sa demeure
Bientôt commence à s'ennuyer ;
Chaque instant lui semblait une heure.
Lui faudrait-il passer la nuit dans ce tourment !
La tourterelle a besoin d'un amant ;
Des traits d'amour elle aime la blessure ;
C'est un cinquième élément
Nécessaire à sa nature.
Notre affligée est toujours sans mari ;
Son ardeur croît , et sa crainte redouble :
L'absence d'un époux chéri
De plus en plus l'inquiète , la trouble.
Loin de moi que fait-il ? Ah ! si mon tourtereau,
Épris de quelque objet nouveau,
Venait à m'oublier !... je frémis quand j'y pense.
L'infidèle ! est-ce là le prix de ma constance ?
C'est à-peu-près ainsi qu'en longs roucoulements,
Précipités de moments en moments,
L'épouse se plaignait d'une si longue absence.
C'en est trop, punissons cet ingrat qui m'offense,
Dit-elle alors avec émotion.
Elle voulait déjà pour sa vengeance
(Et c'est assez l'usage en telle circonstance)
Suivre la loi du talion.
Je ne suis point encor, dit-elle,
Dieu merci , sans quelque agrément .
J'ai du moins la jeunesse ; on peut me trouver belle,
Et me traiter moins indifféremment.
Disant ces mots , vers la porte elle avance ;
Puis elle en sort , méditant sa vengeance.
Mais à peine est-elle dehors
Qu'elle ressent déjà de déchirants remords.
Ces remords tout-à-coup l'arrêtent dans sa fuite :
Elle hésite, combat, puis revole à son gîte,
Confuse de ce qu'elle osa
Concevoir le projet de n'être plus fidèle.
Bientôt après, l'époux, à tire d'aile,
Toujours constant, revint, et s'excusa.

La vertu même la plus pure
Peut avoir un moment d'erreur.
Mais sa victoire est toujours sûre ;
Elle triomphe avec honneur
Des faiblesses de la nature.

Fable 5




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