La Cloche et la Sonnette Remacle Maréchal (1796 - 1871)

Du maître-autel amie inséparable,
Dame sonnette fut très- surprise un beau jour
De se trouver au comble de la tour.
Si la chronique est véritable,
Le diable au chœur s'étant, vers la brune, introduit
L'avait là haut portée à l'heure de minuit,
Et mise dans un coin tout proche
De l'endroit où pendait la cloche.
« Ha ha, que vois-je ! (exclame celle- ci
L'apercevant), tiens, tiens, chez nous une sonnette !
Petite, qu'est-ce donc que tu viens faire ici ?
Mais sors un peu de ta cachette !
C'est à peine si je te vois,
Tant mince et chétive on t'a faite.
Oh ! comme elle tremble à ma voix !
Peureuse, passe encor quand j'éclate et résonne
Par les champs, au-dessus des monts, au fond des bois,
Semblable à la foudre qui tonne. >> - « Tant d'intérêt pour ma personne,
Madame, en vérité, me confond : croyez-moi,
Je n'ai de vous le moindre effroi ;
C'est être envers moi par trop bonne.
Une sonnette qui raisonne !
Voyez où l'amour- propre est allé se nicher !
Je suis la reine du clocher :
Sais-tu que ce n'est pas sans danger qu'on m'y brave ;
Que je pourrais !... - Oui, sans l'entrave
- Qu'on prit soin de vous attacher.
- Impertinente ! - Fière esclave !
- Vil rebut dont, à deux cents pas,
Les sons mourants n'arrivent pas !
Mais à ces sons mourants, du porche au sanctuaire,
Les fronts avec respect s'inclinent vers la terre,
Et si ma faible voix, qu'on n'entend qu'à genoux,
Ne passe pas les murs de la pieuse enceinte,
Lorsque je tinte, moi, c'est pour Dieu que je tinte,
Et pour lui seul, m'entendez- vous ?
Misérable, crains mon courroux !
Qu'est-ce que par là tu veux dire ?
Que tous les rôles te sont bons ;
Qu'aux quatre vents livrant tes sons,
A leur gré les sonneurs te font pleurer ou rire ;
Qu'on t'a vue applaudir chaque pouvair nouveau,
Et faire, flatteuse cynique,
Éclater ta voix métallique
Pour empereur, roi, république,
Fleurus, Austerlitz, Waterloo,
Voire le jour où du bedeau
Se maria la fille unique.
J'ai fini : j'attends ta réplique. »

Furieuse la cloche y songeait quand, hélas !
S'en vinrent les sonneurs étouffer sa colère
En la faisant avec fracas
Sonner pour je ne sais quel grand anniversaire :
Le chroniqueur ne le dit pas.

Livre I, fable 10




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