Le Chat sauvage et le Lapin Simon Pagès (17ème siècle)

Eh! bonjour, aimable compère,
Dit un matin un chat au plus beau des lapins,
(C'était un chat sauvage);enfin vous voila père.
Lapinette a mis bas; traitons—nous en voisins.
Oh! que je vous aime, mon frère !
Comment va la chère moitié?
Tous vos petits sont beaux comme leur mère ;
Je leur voue en ce jour la plus franche amitié.
Le bonhomme lapin le croit sur sa parole.
Que ne croirait pas un cœur franc !
I le conduit au nid, construit au pied d'un saule:
L'épouse, à son aspect, sent frissonner son sang.
D'une voix fausse et doucereuse,
Le bourreau fait maints compliments.
Des mères c'est la plus heureuse;
Ses enfants sont déjà les plus beaux des enfants.
Il veut protéger leur jeunesse,
Les voir, les revoir tous les jours.
La mère frémit aux discours
Qui suivent sa belle promesse....
Enfin, il part pour retourner le soir...
Dieux! sauvez ma progéniture !
Trompez ce fourbe en son espoir !
I veut mes petits pour pâture.
O mon ami! dit-elle à son mari lapin,
Crois que ce monstre, en proie aux crimes,
Va prendre enfants, mère et toi pour victimes;
Il dévorera tout pour assouvir sa faim.
Elle sort à l'instant, vole chez une amie,
Qui, dans un trou caché, nourrissait ses petits;
Dit les dangers que court sa famille chérie:
Les deux pères lapins étaient deux vrais amis.
Notre amie aussitôt lui rend un prompt service,
Sauve la vie à tous au bord du précipice.
Dés que la nuit a couvert la campagne,
Maitre matou, la rage sous la dent,
Se rend en vrai larron, suivi de sa compagne,
Au nid des lapereaux, de ce peuple innocent:
Qu'y trouve-t-il? le logement.
De ce vieux scélérat le courroux fut extrême.
On dit qu'il dévora sa compagne elle-même.
L'œil perçant d'une mère est trompé rarement.

Livre III, Fable 5




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