Dans le palais du chef des vrais croyants,
Un étendard qui, durant maintes guerres,
Avait guidé les braves janissaires,
Déroulait ses plis ondoyants.
A ses pieds un tapis d'une rare élégance
Étalait aux regards les plus brillantes fleurs,
Les dessins les plus beaux, les plus vives couleurs.
Tous deux vivaient en bonne intelligence :
L'étendard était bon enfant,
Et quoiqu'il eùt été souvent couvert de gloire,
Il ne s'en faisait point accroire.
Nos deux amis jasaient, quand le clairon bruyant,
Réveillant les échos de sa voix menaçante,
Fit entendre ces chants si chéris des héros,
Et donna le signal d'une guerre sanglante.
« Adieu ! dit l'étendard ; adieu, mon doux repos !
Tandis qu'aux pieds de ta belle maîtresse,
Jonché de fleurs, dans ce brillant séjour,
Tu n'entendras que des cris d'allégresse
Et les accents d'un tendre amour,
Je vais, affrontant la tempête,
A des périls chaque jour renaissants
Follement exposer ma tête,
Errer dans des déserts brûlants,
N'entendre que des cris de douleur et de rage,
Ne voir que des tableaux de meurtre, de carnage.
Peut-être, hélas ! de sang et de fange souillé,
Couché dans la poussière et sous les pieds foulé,
Je verrai ma gloire éclipsée !
Ah ! je frémis d'horreur à cette affreuse idée. »
« Chasse ce noir pressentiment,
Répondit son ami ; rappelle à ta mémoire
Ces jours brillants où la victoire
T'a près de moi ramené triomphant,
Et raisonnons tranquillement.
A mon sort tu portes envie ;
Ton destin te paraît pénible, rigoureux :
Peut-être as-tu raison ; mais, si je suis heureux,
C'est que je sais cacher ma vie.
Souffre donc sans te plaindre et périls et travaux,
Toi qui, comblé d'honneurs, lèves ta tête altière,
Et laisse-moi goûter, en vivant terre à terre,
Les obscures douceurs d'un paisible repos. »