« Je suis émerveillée, commère, »
Disait à l'huître sédentaire
Un nautile vif, élégant,
Qui, grâce à sa voile légère,
Sur le cristal des mers naviguait lestement.
« Je viens de voir un immense nautile
Qui, comme nous, alerte, agile,
A l'aide de ses bras fend les flots écumants :
Comme nous, il oppose aux vents
Une membrane transparente :
Sa queue, ainsi qu'à nous, lui sert de gouvernail.
Il semble s'avancer sans le moindre travail ;
Mais sa grandeur surtout me parait surprenante. »
Je le présume, cher lecteur,
Vous avez deviné sans peine
Qu'une barque voguant sur la liquide plaine
De l'ignorant nautile avait causé l'erreur.
« Compère, je te porte envie,
Reprit l'huître : je suis ravie
Rien qu'à t'entendre seulement.
Ah ! si je n'étais pas attachée à ma roche,
Je pourrais voir de près ce prodige étonnant. »
Elle le vit. niais à son dam.
La fatale barque s'approche.
Les matelots qui la montaient
Justement aux huîtres péchaient.
La pauvrette se sent de son roc arrachée
Par l'un d'entre eux qui la saisit,
L'ouvre, et n'en fait qu'une bouchée.
Vous voyez, mes amis, dans ce simple récit
L'histoire de l'espèce humaine.
Dupes d'un aveugle désir,
Nous ne trouvons souvent qu'une perte certaine
Où nous pensions rencontrer le plaisir.
Note de l'auteur : On sait que le nautile est un coquillage ainsi nommé, parcequ'il offre quelque ressemblance avec un navire. Lorsque l'animal veut nager, il étend au-dessus de sa coquille deux de ses bras entre lesquels est une membrane légère qui lui sert de voile : les deux autres bras plongés dans l'eau lui tiennent lieu d'avirons; sa queue fait l'office de gouvernail.