Toujours orgueil sans frein suivit grandeur sans bornes.
De bœuf devenu dieu, le mugissant Apis,
Apeine le front ceint de couronnes d'épis,
Oublia, le premier, ses cornes.
Aux vapeurs de l'encens couché sur des tapis,
Il se disait tout haut : «Mais c'est bien véritable !
Pour croire à ma divinité,
Il suffit de voir mon étable ;
Et je fus longtemps dieu, sans m'en être douté.
Longtemps ?... et si c'était de toute éternité?
Peste ! dans ce cas-là, c'est chose regrettable,
Ayant un lot si profitable,
D'en avoir si tard profité ;
Et j'ai fait à ma dignité,
En couchant sur la paille, une injure notable !
Mieux vaut tard que jamais : Memphis s'est acquitté;
J'habite un séjour délectable ;
Je fais mieux, je broute dans l'or :
Et si quelque étourdi, pour trancher du capable,
De ma divine essence osait douter encor,
Je l'en convaincrais à ma table. »
Sous la table, à ce mot, sortant d'un petit coin,
Une voix l'interrompt et dit : « J'en suis témoin,
Oui, votre crèche est d'or autant qu'on le peut être,
Dieu puissant ! Mais dans l'or que mangez- vous ? du foin :
Autant vaudrait retourner paître ! »
Ainsi parla quelqu'un qui, peut-être à son tour,
Allait, devenant dieu, perdre sa bonne tête,;
Mais qui, n'étant encor qu'un rat jusqu'à ce jour,
Raisonnait sainement de tout, comme une bête.