Du Singe, du Renart et du Lievre Ysopet I (Moyen Âge)

Devant le singe fist semondre
Renart le lievre a lui respondre .
D’une gelline grasse et grosse
Que cil li embla dans la fosse ;
Ainsi dit renart, s’il ne ment.
Là li lievres contreèment
Respont à ce que il propose
Que ne li embla nulle chose,
Et dit ores talent n’en avoit.
Quant renart ce entant et voit,
Qui n’a tesmoiug qui dier lui doie,
En jugement son genou ploie,
Contre le lievre tant son gaige.
Et cil qui parla comme saige,
Se prist courtoisement a dire :
Sauve votre grâce, beau sire,
Gaige de bataille, en ce cas,
Je cuide qu’il 11’afficre pas :
Car, par l’ordenance royal,
S’il n’a presontion loyal,
Cheval nen iert ja en selle
Contre seli qui est appelé ;
Ou s’il n’i a mehain ou mort, 4
Ou traison pour homme mort,
Ou s’ossement n’est brisié :
Encor tout ce n’est point prisié,
Se l’en peut trouver tesmoignage.
A doncques n’i puet escheoir gage,
Si le cas n’est si evidables
Que par lui soit uns homs pendables.
Tu ne demandes qu’une poule
Dont tu voulois fourrer ta goule :
Ne valoit que douse deniers,
Tournois ou parisis peliers;
Or ne doit-on un home pendre,
Se la chose ne puet-on vendre
Plus de v soûls, qui est emblée,
Selon commune renommée :
Ainsi le tient l’assertion
De disieme collation.
Drois ne veult que pour larrecin
Mette l’en personne a la lin,
Se n’est larron de renommée
Qu’en doit pendre a fourche levée.
J’en demande drois a la court.
Li juges qui voit bien le hourt, 5
Et la deliauté renart, 6
Et cogneust sa guille et son art,
Et vit bien par presoncion
Qu’il avoit mauvaise accion,
Si commende que il se taise :
Car il a querelle mauvaise.
Le lievres te met bien ennui :
Pour ce proposes contre lui.
Preudomme est et de bonne vie,
De toy maufaire n’a envie.
Faites pais et bonne accordance.
Simplesse si est demonstrance
En personne de vérité ;
Et barat vient de fausseté.
Hommes qui s’acointe et apresse
Mauvaistié, a poine la laisse.

Tels s’accoustume a bareter :
A poines l’en puet-on geter :
La cruche sant adès boudeur
De ce que tient a la saveur ;
Et les aux resant le mottier.
Barat de Barat est portier.
Qui est acoustumé de nuire,
Grans puet tricherie muire.
Ce qu’en apprent en sa jonesce
Fault l’en continuer en vieillesce.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.103


Fable XXXVII

Notes

Semondre : citer, avertir, prier, de monere
Contreement : contradictoirement
Talent : désir, besoin
Mehain : blessure, tourment, supplice
Hourt : ruse, finesse
Deliauté : déloyauté
Guille : tromperie
Barat : dol, vol
Bareter ou barreter : tromper, friponner, tricher
Adès : toujours, sur-le-champ
Mottier ou mortier, ou motel : mortier. C’est le proverbe bourguignon : Le motel sent tojor les au : Le mortier sent toujours l’ail.


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