L’Epi et le Pavot Aimé Naudet (1785 – 1847)

Au beau milieu d’un champ fertile,
Où les ions de Cérès mûrissaient à l’envi,
Fier de ses groins dores, un orgueilleux Epi
Querella un Pavot à peu près dans ce style :
— Que viens-lu faire auprès de moi,
Vil symbole de la paresse ?
En Orient l’on dit que la mollesse
De les sucs enivrants fait le plus sot emploi ;
Mais en ces lieux jamais as-tu servi personne ?
Sans odeur et sans goût, jamais utile à rien,
Ta léthargique fleur n’est bonne
Qu’à ceindre un jour d’une couronne
Un front académicien.
Que mon sort en ce monde est différent du tien!
À la table des Rois tous les jours je figure,
Peut-être même à la table des Dieux;
Et l’homme, des présents que lui lit la nature
Trouve en moi le plus précieux ;
Cesse inutilement de fatiguer la terre.
— Tout doux, mon orgueilleux voisin !
Fier de ton superbe destin,
Tu viens à tort me déclarer la guerre :
Chacun a son rôle ici-bas,
Suivant qu’en ses secrets le veut la providence,
Et du mien je ne me plains pas :
Dans les greniers de l’opulence
Cours entasser tes grains, le doux suc des pavots,
Charge de l’humble soin d’endormir la souffrance.
Au malheureux qui n’a plus d’espérance
Ira verser l’oubli des maux.

1829




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