Croira-t-on qu'un Bouton de Rose,
Au lieu d'être modeste et sans prétention,
Comme il sied toujours bien, même à la Fleur éclose,
Ne mettait pas de borne à son ambition ?
Les projets qu'un orgueil extrême
Enfante en ses vastes désirs,
Et de succès hâtés les précoces plaisirs.
Lui semblaient le bonheur suprême.
Du temps il charmait les lenteurs
En publiant la longue histoire
Des boutons, ses prédécesseurs.
Des Roses il vantait la gloire ;
Par vanité toujours il les nommait ses sœurs,
Et critiquait les autres Fleurs,
Quelquefois même l'Eglantine,
Qu'il trouvait un peu trop mesquine.
« Elle n'est, disait-il, qu'une Rose des champs.
Nous avons, j'en conviens, une même origine,
Mais c'est de loin que nous sommes parents.
Et si jadis, à Toulouse, Clémence,
Qui lui consacra tant de soins,
N'en avait fait le prix de l'éloquence,
On en parlerait beaucoup moins.
Cette Fleur, dans sa solitude,
N'a point ainsi que nous d'innombrables témoins.
On ne voit point la multitude
Avec empressement contempler ses progrès.
L'avenir doit être sans gloire
Pour de si modestes attraits.
Qui peut s'intéresser aux vulgaires succès
D'une Fleur villageoise indigne de mémoire ?
Tandis qu'avec orgueil mes jours seront comptés,
Et que mes succès mérités « Fatigueront la renommée.
Sans doute ma naissance est déjà proclamée
Bien loin de ces bosquets sans cesse visités
Par d'avides regards et par des mains soigneuses
Qui, sachant prévenir les chances dangereuses,
Me laissent ignorer la crainte et la douleur,
Et par des soins constants attestent ma valeur.
Tous les hommes nous honorèrent
Dans tous les temps, dans tous les lieux ;
Souvent même ils nous consacrèrent
Par un emploi religieux.
Surène et Salency, modèles de constance
Et justement chéris des cieux,
Nous réservent en récompense
À la vertu modeste, à la sainte innocence
Qui reconnaît en nous un trésor précieux.
Les guerriers et les rois maintes fois nous soignèrent,
Pour donner quelque charme à leurs jours orageux ;
Enfin, Anacréon et Sapho nous chantèrent !...
Quand pourrai-je obtenir un destin glorieux ?
Quand pourrai-je écarter ce bourlet odieux
Qui me traite en esclave, et qui toujours s'oppose
Au noble but de tous mes vœux ?
Je suis bouton encore, et voudrais être Rose !...
Bois joli, mon voisin, que vous êtes heureux !
Votre Fleur hivernale est sans prix à mes yeux :
Elle est depuis longtemps éclose !
L'Arbuste répondit à ce jeune imprudent :
En vérité, vous êtes un enfant ;
Vous avez l'orgueilleux langage
De l'ignorance et du jeune âge.
La faible Clochette des champs,
Et l'Eglantine solitaire,
Et la sauvage Primevère,
Chefs-d'œuvre des cieux bienfaisants,
Et simples hôtes du village,
Sans orner, comme vous, les parterres des grands,
Valent peut-être davantage.
Si trop tôt votre Fleur allait s'épanouir,
Si vous deviez trop tôt jouir
Des succès sagement gardés pour un autre âge,
On verrait promptement votre éclat se ternir ;
Vous verriez de bonne heure, en dépit de l'ombrage,
Vos jeunes pétales jaunir.
La précoce jeunesse est la plus fugitive ;
Elle est de la nature une brillante erreur,
Et le signal avant-coureur
D'une caducité hâtive.
Un destin différent préside à chaque Fleur.
Jouissant de votre partage,
Sans envier le voisinage,
D'un bienfaisant rayon attendez la chaleur.
Des frimas la sombre furie,
Se déchaînant sur ce coteau,
Est menaçante encor pour la Rose fleurie,
Et non pas pour mon Arbrisseau.
Bouton de Rose, aimez l'enveloppe soigneuse
Qui voile votre front d'un utile bandeau !
Calme-toi, jeunesse orgueilleuse !
Et sur ta tête ambitieuse
Garde ce précieux fardeau. »