Jadis sur un Sandal vivait une Chenille
Dont j'ignore le nom, les couleurs, la famille.
Comme je suis très fureteur,
Je la rencontrerai peut-être ;
Certe alors j'enverrai son portrait au lecteur ;
Mais je n'ai pas encor l'honneur de la connaître.
On a fini par découvrir
Qu'ayant peu de goût pour courir,
Elle avait consacré sa vie
A l'étude, aux beaux-arts, à la philosophie.
Je sais encore à son sujet
Que, brillante, grasse et fourrée,
Sur son arbre elle fourrageait Sans chercher d'autre picorée ;
Que de cornes sur le devant
Elle était pourvue et coiffée ;
Et que, nuit et jour, en rêvant,
Elle filait comme une fée.
Elle goûtait dans le bonheur
D'une existence sédentaire
Tous les plaisirs qu'un solitaire
Trouve dans son esprit rêveur,
Dans sa raison et dans son cœur.
Perpétuelle spectatrice
De faits plus ou moins curieux,
Elle était bonne observatrice,
Ne s'en rapportant qu'à ses yeux.
Sur ces rameaux, sous leur ombrage,
Elle avait fixé son séjour,
Et se nourrissait du feuillage
Avec tant de plaisir qu'un jour
À l'Arbre elle dit : « Cher amour,
Juste objet de ma confiance,
De vos perfections j'ai fait l'expérience.
De vous enorgueillir vous auriez bien le droit,
Si vous n'étiez modeste et simple autant que sage.
Vous valez beaucoup mieux que le public ne croit.
Des plus nobles vertus j'admire en vous l'image :
Vous avez la beauté, la bonté, la saveur ;
La fermeté se joint en vous à la douceur ;
C'est un admirable avantage.
Et, lorsqu'un pouvair oppresseur
Vient vous faire quelque dommage,
Comme un homme de bien vous pardonnez l'outrage.
Semblable au pieux pèlerin
Pendant son pénible voyage,
Semblable à l'apôtre divin
Dont le ciel bénit l'ermitage,
Vous purifiez ce bocage.
Enfin, ce qu'avant vous on n'a jamais connu,
La hache qui vous fait une cruelle injure,
Comme tout le monde l'assure,
Et comme plusieurs fois moi-même je l'ai vu,
De votre noble sève est longtemps parfumée
Rien ne peint mieux la renommée
De votre indulgente vertu.
En entrant dans mon lit de soie,
Qui ne sera pas mon tombeau,
Puisque l'instinct que j'y déploie
M'y prépare un sort tout nouveau
De courses, d'amours et de joie,
Je vous fais mes adieux.
Il faut nous séparer ;
Dans la nuit du sommeil je dois me retirer,
Comme il convient à la Chenille.
Puis j'irai vers le firmament,
Au - devant de tout ce qui brille,
Sans négliger le sentiment
Et mes affaires de famille.
Lorsque, mon vol triomphateur
Et ma diaprure irisée
Vengeant ma terrestre lenteur
Par une céleste hauteur,
Parmi le̱ miel et la rosée,
Vers le zénith consolateur
Je planerai, pour mon bonheur,
Sur les confins de l'Élysée,
Je me ressouviendrai de vous.
Votre souvenir cher et doux
Me fera regretter la terre ;
Et, sans avair à réclamer
Les soins de votre ministère,
Uniquement pour vous aimer,
Je descendrai de l'atmosphère.
Si je résiste à l'aquilon
Qui nous emporte, et nous décime,
Je quitterai mon tourbillon
Et les plaisirs d'un vol sublime,
Pour fréquenter votre vallon.
Puisqu'on aime ce qu'on estime,
Vous me reverrez Papillon. »

Fable 9




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