Les deux Paratonnerres Anatole de Montesquiou-Fezensac (1788 - 1878)

Sur le moindre petit clocher Un peu d'orgueil va se nicher,
A plus forte raison sur un sublime siège,
Et quand dans ce lieu l'on protège ;
Est bien habile alors qui peut l'en arracher.
Peut-être que l'orgueil d'un bon Paratonnerre
Est le seul que l'on puisse excuser sur la terre.
Cependant il devrait toujours
En modérer un peu le cours

Sur le toit d'un palais cette Lance orgueilleuse
Élevait dans les airs sa pointe ingénieuse ;
Et disait « Je bannis la foudre et la terreur ;
Ce n'est point l'intérêt qui me rend protecteur ;
Ma charité n'est point un trompeur simulacre ;
Je ne suis pas un fanfaron,
Je suis utile tout de bon ;
Mon existence entière aux bienfaits se consacre. »

Je trouve qu'il avait raison ;
Mais doit-on publier sa gloire ?
Et surtout devrait-on alors crier si fort ?
On est toujours tenté de croire
Que celui qui se vante a tort ;
Et, dans ce jugement sévère,
Sans doute on ne se trompe guère.

Un jeune et beau Laurier qui vivait près de là,
Pensait aussi comme cela.
Noble attribut de la victoire,
Et digne d'obtenir une longue mémoire,
De lui - même il ne parlait pas,
Ou bien il en parlait tout bas :
On sait bien que la modestie
Est le cachet d'un grand talent.
Aussi voyons-nous fort souvent
Que bien des gens pour elle ont de l'antipathie.

Un Papillon des plus jolis,
Orné d'ébène, d'or, de nacre et de rubis,
S'échappe du Laurier, sa paisible retraite.
« Cette Plante, dit-il, en cette occasion
Ne devrait pas rester muette :
Le dernier qui parle a raison.
De vous, pauvre Daphné, je serai la trompette.
Ce rôle m'appartient : de nous deux Apollon
Est le dieu protecteur ; il m'a donné son nom ;
Pour mieux lui prouver ma tendresse,
Je veux secourir sa maîtresse. »

Aussitôt, fendant l'air de son vol inégal,
L'insecte monte et plane à l'entour du métal
Orgueilleux vainqueur du tonnerre.
« J'en conviens, lui dit-il, vous protégez la terre ;
Mais vous êtes parfois un protecteur fatal.
Souvent on vous a vu tromper la confiance.
Quelques soins oubliés, un peu de négligence
Vous suffisent, hélas ! pour faire bien du mal.
Vous ne pouvez servir de symbole et d'image
Au noble chevalier sans reproche et sans peur ;
Vous n'êtes point comme le sage,
Toujours prêt à porter le fardeau du malheur,
Et sur vous cependant vous attirez l'orage !
La prudente Daphné se conduit autrement.
D'un touchant souvenir éternel monument,
Elle reçut jadis du dieu qui la protège,
Et que le tendre amour entraînait sur ses pas,
Un don plus précieux, un plus beau privilège :
Elle écarte la foudre et ne l'attire pas. »

Fable 11




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