Un superbe Chardon, que mes yeux ont vu naître,
Étalait fièrement sa solide roideur
Tout à l'entour de lui, comme un orgueilleux maître
Qui veut plaire, mais qui fait peur.
Tout près de là vivait une Plante modeste
Qui déplaisait fort au Chardon ;
Aussi lui disait-il dans un jour d'abandon :
« Mon cher Pois de senteur, malgré l'encens céleste
Dont la nature vous fit don,
Malgré les teintes nuancées
Que vos Fleurs papillonacées
Offrent à l'admiration,
Je ne troquerais pas les miennes avec elles ;
Toujours mes qualités sembleront plus réelles.
Vous avez besoin d'un soutien ;
Songez donc qu'à vous seul, mon cher, vous n'êtes rien ;
Les jeunes pousses de vos vrilles,
Tous ces treillages, ces liens,
Et ces épineuses béquilles
Sont de méprisables moyens.
Lorsque l'on a besoin des autres,
À quoi pourrait-on résister ?
Quels pieds valent mieux que les nôtres,
Lorsqu'il s'agit de nous porter ?
Si vous vous défiez des vôtres,
Sur lesquels devez - vous compter ?
Mes épines et ma rudesse
Sont l'inépuisable arsenal
Sur lequel compte ma sagesse ;
Je n'appréhende aucun rival,
Aucun événement fatal.
Je vous plains fort d'une faiblesse
D'une dégradante mollesse
Qui vous causera bien du mal. »
Le Chardon finissait à peine
Ce discours, lorsqu'un Animal
Que la friandise ramène
Souvent près de ce végétal,
Vient et lui fait une morsure ;
Et, paraissant y prendre goût,
Lui fait une nouvelle injure,
Puis une mortelle blessure :
Le gourmand avalera tout.
Pendant ce temps la chatelaine,
Dont le regard conservateur
Veillait au soin de ce domaine,
S'approche du Pois de senteur,
Le regarde avec un sourire,
Craint de lui causer du chagrin
En en détachant même un brin ;
Le touche, le flaire, l'admire,
L'appelle un miracle des cieux,
Ne peut en détourner ses yeux,
Et comme à regret se retire
En disant : « Il n'est rien de mieux.
Ce Chardon maussade et colère
Nous a causé beaucoup d'ennui ;
Mais vous, Fleur, vous avez su plaire :
Vous vivrez plus longtemps que lui. »