Une longue Viorne étendait ses rameaux
Sur son proche voisin, un Sorbier aux oiseaux.
Celui-ci , jeune encore et sans expérience,
Se prêtait volontiers à cette dépendance,
Sans se douter du tour, et sans trouver mauvais
Un envahissement qui faisait des progrès.
Un Merle vainement, improvisant sans cesse
De vrais oracles de sagesse,
Lui chantait : « Croyez-moi, la Viorne pour vous
N'a que des dehors de tendresse.
Partout elle ne voit que ce qui l'intéresse.
Elle commet souvent, avec l'air le plus doux,
Des actes de scélératesse.
N'en doutez pas, mon cher, vous aurez le dessous
Finalement dans cette affaire.
Il en est temps encor, agissez autrement ;
Ayez plus de prudence et moins de sentiment.
Vous croyez à la paix quand on vous fait la guerre,
Parce qu'on la fait sourdement,
Sans déclaration et sans préliminaire !
Du moins, dans tout ceci, je n'aurai pas de tort ;
Je vous ai du péril averti tout d'abord.
Songez qu'on marche à sa ruine
Quand on ne s'entend pas à défendre son bien.
En ne faisant semblant de rien,
La Viorne vous assassine.
Ses rameaux, ses feuilles, ses fleurs,
Sont une espèce de déluge ;
Contre le plus grand des malheurs
Vous serez bientôt sans refuge !
Vous finirez prochainement,
Je ne sais pas précisément
Si ce sera d'apoplexie,
De manque d'air, d'étouffement,
De pléthore ou bien d'éthisie...
Mais ce sera certainement
De quelque chose d'approchant.
En vérité , c'est grand dommage !...
Vous avez plus d'un avantage :
Vos fruits sont bons et délicats,
Et vous possédez un feuillage
Si doux , qu'il a l'air d'un plumage.
Ailleurs nous ne trouverions pas
Un plus agréable ermitage
Pour nos amours, pour nos ébats,
Et notre éternel caquetage.
Moi plus que tous j'en fais grand cas,
Et n'estime plus d'autre ombrage. »
Le Sorbier répondit : « Mon cher, détrompez-vous ;
Ma situation doit faire des jaloux ;
Elle n'est pas du tout ce que l'on s'imagine.
Voyez-y donc plus clair : la Viorne s'incline
Devant moi d'un air humble et doux,
Et mon front libre la domine.
C'est une tendre amie , une aimable voisine,
Et vous avez contre elle un injuste courroux.
C'était une pauvre orpheline
Dont j'ai pris soin ; j'en sais long sur ce sujet-là :
Elle - même souvent m'expliqua tout cela.
Sa tige à la mienne est unie
Par son propre choix. C'est touchant,
Quoi qu'en dise la calomnie :
Elle ne vit qu'en s'attachant !
D'ailleurs d'autres Arbres encore,
Que vous voyez ici tout près,
Portent ce poids qui les honore,
Et ne s'en repentent jamais.
Lorsque de terre encore elle sortait à peine,
Elle avait dans ma tige un air si confiant
Que j'eus pour elle une âme humaine .
Je ne pus résister à son ton suppliant.
Étant débile, elle s'appuie
Sur qui veut bien la secourir.
Aux forts il faut qu'elle confie
Sa charge et l'espoir de sa vie.
Sans aide elle a trop à courir,
Trop à risquer, trop à souffrir.
Mais comme on ne fait, dans ce monde,
Rien pour rien en aucun pays,
Mes bienfaits ont trouvé leur prix :
Sa reconnaissance féconde,
Charme ces lieux loin à la ronde
Par les parfums les plus exquis,
Et prête à l'Arbre qui l'abrite,
Entre autres brillantes faveurs,
Plus d'un Papillon parasite
Dont j'estime fort les couleurs.
J'aime à voir ses rameaux s'étendre
En fraîches guirlandes de fleurs,
Courir, tomber, monter, descendre
Sur mes supports triomphateurs,
Formant des tentes de verdure
Où les amis de la nature
Apportent leurs loisirs rêveurs.
Pour perpétuer ces merveilles,
Qui sont, m'a-t-on dit, sans pareilles,
On voudra me rendre immortel,
J'en ai la ferme confiance :
Jugez de ma reconnaissance !
Il n'est pas d'homme assez cruel
Pour arrêter mon existence,
Pour me donner un coup mortel,
Tant que, par la faveur du ciel,
Subsistera notre alliance. »
Le Merle dans ces lieux revint
Un an après sa prophétie,
Et du Sorbier il se souvint ;
Mais l'arbre était mort d'asphyxie.