Le Lézard, l'Abeille et la Rose Anatole de Montesquiou-Fezensac (1788 - 1878)

Après avoir fait tous ses tours,
Ses crochets imprévus et ses adroits détours,
Un Lézard fort malin, mais sans expérience,
Et de qui l'instinct seul composait la science,
Entra dans une Rose : où n'arrive-t-on pas,
Avec du temps, de l'industrie,
Peu de talents, beaucoup de pas,
Et surtout de l'effronterie ?
L'être audacieux et fluet
Est servi toujours à souhait,
Nous dit un acteur qu'il faut croire.
Assurément c'était le cas
De l'Animal rusé dont je conte l'histoire.
Se trouvant alors un peu las,
Il descend au fond de la Rose ;
Il s'y blottit et s'y repose.
Les pétales formaient un vaste paravent
Que Phébus, pendant sa carrière,
Aimait à réchauffer souvent
Avec des torrents de lumière.
C'était un petit nid charmant ;
Mais, de cet établissement,
Des Abeilles bientôt se dirent offensées,
Et soutinrent à tout venant
Que ce Lézard impertinent
Allait ainsi sur leurs brisées.
Une Abeille essaya de lui parler raison,
Afin qu'il délogeât.
Ce moyen est fort bon,
Et j'en recommande l'usage ;
Mais, si déjà l'on n'est pas sage,
Quel fruit tire-t-on d'un sermon ?
Cette Abeille fut admirable
Dans un discours improvisé,
Et le Lézard inexorable.
Le chasser n'était pas aisé,
Car il était fort et rusé.
Il fallait surtout du génie.
Une autre Abeille alors jure à sa colonie
D'obtenir bientôt ce départ.
Elle a recours à l'ironie.
Que vous êtes heureux ! dit-elle à ce Lézard :
Vous avez reçu du hasard
Des talents qui charment la vie ;
Moi-même je vous porte envie.
Sans cesse l'on vous voit, dans le sein d'une fleur,
En distiller le miel, en savourer l'odeur ;
Vous aimez une Fleur comme on aime la gloire ;
Une Rose pour vous est un laboratoire ;
Personne n'en connaît mieux que vous la valeur.
Tous vos nombreux travaux sont d'utiles merveilles ;
Vous êtes plus habile encor
Que les plus savantes Abeilles ;
Et, si vous amassez un immense trésor,
C'est pour verser des dons plus précieux que l'or :
Le ciel vous a formé pour enrichir la terre !

Le Lézard répondit :
Je n'entends rien, ma chère,
A tous les compliments que vous m'adressez là ;
En fait de miel, jamais Lézard ne travailla,
Et je ne savais pas non plus que cette Rose
Eût jamais senti quelque chose.

Notre Lézard était sensé,
Car il comprit alors qu'il était déplacé.
Il rougit, se lève, soupire,
Et pour toujours il se retire, En disant :
Il vaut mieux ne pas être si bien,
Et qu'au moins l'on n'exige rien
De ce qui n'est pas mon affaire.
Pour réussir je vois que le meilleur moyen
Est de ne pas quitter sa sphère.

Fable 5




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